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parti conservateur a un intérêt de premier ordre à ne pas rester longtemps sans avoir son chef, son tacticien, son système de conduite.

Si les partis avaient été organisés en Italie comme ils le sont en Angleterre, il n’y aurait pas eu la crise ministérielle qui a éclaté récemment à Rome, ou, dans tous les cas, dès que les représentans d’un parti se voyaient obligés de se retirer, leurs adversaires se seraient trouvés prêts à recueillir le pouvoir. Ce qui a fait justement la difficulté à Rome, c’est.que cette crise est née d’une grande incohérence, d’un amalgame confus de tous les mécontentemens, d’une coalition de hasard, si bien que le lendemain rien n’a été possible. Le ministère a été renversé : comment refaire un ministère ? L’ancien président du conseil, M. Cairoli, s’est d’abord absolument refusé à reconstituer un cabinet et même à rentrer dans le cabinet qui serait réorganisé. A défaut de M. Cairoli, M. Depretis a été chargé de cette œuvre délicate ; il s’est efforcé de réconcilier toutes les fractions de la gauche, de rallier M. Crispi, M. Nicotera, les éternels dissidens, — il n’a pas réussi. Un instant le chef de la droite, M. Sella, a été appelé par le roi Humbert ; mais il ne se trouvait pas en mesure, dans les conditions parlementaires telles qu’elles sont de former une administration ayant quelque chance de durée, et le meilleur conseil qu’il ait pu donner au roi a été de rappeler tout simplement l’ancien cabinet démissionnaire. C’est précisément ce qui a été fait après quelques jours de négociations inutiles et de confusion. M. Cairoli s’est rendu à l’appel qui lui a été adressé par le roi, et le ministère s’est trouvé reconstitué tel qu’il était. On va lui accorder maintenant sans doute le vote de confiance qui lui a été refusé il y a quelques jours ; on a eu le temps de réfléchir sur la difficulté des combinaisons ministérielles, sur le danger de prolonger une crise de pouvoir dans un moment où la réforme électorale reste à voter, où il y a encore à réaliser les plus sérieuses mesures financières et où la politique extérieure de l’Italie s’est égarée au sujet de Tunis. M. Cairoli, avant le vote qui l’a renversé il y a quelques jours, avait su éviter de compromettre les relations de l’Italie avec la France ; il est probable qu’il revient au pouvoir avec l’intention de ne rien faire ou de ne rien dire qui puisse altérer ces relations. Que les Italiens aient eu dans cette affaire de Tunis quelques illusions suivies maintenant de quelques déceptions, qu’ils aient cru à des engagemens dont on parle tout bas sans les articuler tout haut, sans les préciser, c’est possible. Ils peuvent s’apercevoir aujourd’hui que notre pays n’est engagé que par son gouvernement, et la plus sûre politique pour eux, c’est de rentrer dans la vérité des choses, de comprendre que leurs intérêts à Tunis sont mieux sauvegardés par le bon accord avec la France que par de vaines hostilités.


CH. DE MAZADE.