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fenêtre et deux yeux curieux dévisageaient le nouveau fonctionnaire. Le jeune homme, du reste, valait la peine qu’on le regardât. Grand, bien découplé, la taille fine, la poitrine bombée, la barbe blonde en éventail, l’air aimable et l’œil caressant, il semblait très fier de sa bonne mine et de ses vingt-quatre ans épanouis. Issu d’une famille bourgeoise médiocrement rentée, mais chargée d’enfans, il avait honnêtement pioché au collège, était entré dans un rang honorable à l’école forestière, et, après deux ans de stage dans une ville de l’Est, l’administration venait de le nommer garde-général à Auberive. — Pour un forestier pur sang, ce village de cinq cents âmes, perdu au cœur de la montagne langroise, eût été une résidence de choix : trois lieues de forêts faisaient alentour la solitude et la paix, et de magnifiques futaies abritaient presque de leurs branches extrêmes les jardins et les vergers de la localité. Seulement Francis Pommeret n’avait pas le feu sacré ; il était entré dans l’administration forestière, non par goût, mais parce qu’il fallait choisir une carrière, l’exiguïté du patrimoine paternel ne lui permettant pas de vivre en oisif. Son choix avait été principalement déterminé par la perspective des deux années d’école à Nancy et par l’idée de porter un joli uniforme. Francis était avant tout un mondain, un amoureux de la vie élégante et remuante des grandes villes. En l’embrassant, le jour des adieux, sa mère lui avait remis pour son argent de poche une centaine d’écus, épargnés sou par sou, et lui avait dit : « Maintenant, mon ami, c’est à toi de te tirer d’affaire ; un garçon bien élevé et joliment tourné peut arriver à tout avec de l’ordre et de l’entregent. Sois économe, tâche de te créer de belles relations et de dénicher une héritière que tu épouseras… — Sur la route, en boutonnant ses gants, Francis Pommeret se remémorait cette dernière allocution maternelle, et dans sa barbe soigneusement peignée ses lèvres ébauchaient une légère grimace. — Au fond de ce pays de loups, pensait-il, les belles relations doivent être aussi rares que le trèfle à quatre feuilles, et, quant aux héritières, il est fort douteux que j’en rencontre jamais une dans les sentes broussailleuses de la forêt !…

Tout en monologuant ainsi intérieurement, il était arrivé devant la maison da percepteur. C’était sa première visite. Il agita vivement le pied-de-biche suspendu à un fil de fer et, après avoir attendu patiemment quelques secondes, personne n’accourant à son coup de sonnette, il poussa l’huis entre-bâillé et se trouva dans une cour remplie de poules. Des cris d’enfans partirent d’un corps de logis passablement délabré et se mêlèrent au gloussement des volailles effarouchées. À la fin, une porte s’ouvrit, et une femme encore jeune, en jupe d’indienne et en camisole du matin, avec des