Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
REVUE DES DEUX MONDES.

Mme Lebreton était, en effet, rentrée depuis le dimanche de la Quasimodo, et, dans ce moment même, ayant terminé sa toilette, elle descendait de sa chambre et apparaissait en plein soleil sur le perron du jardin. Rassemblant d’une main les plis de sa jupe noire et ouvrant son ombrelle, elle quittait maintenant la marquise et contournait lentement la pelouse bordée d’iris violets.

Adrienne Lebreton avait certainement passé la trentaine, et les gens qui lui donnaient trente-quatre ans ne devaient pas être loin de compte. Son teint mat et un peu olivâtre manquait de fraîcheur ; le dessous de ses yeux était cerné de bistre et deux ou trois rides légères rayaient son front d’une tempe à l’autre. Néanmoins, en dépit de ces premiers signes de maturité, elle avait conservé une sorte de jeunesse latente. Grande, svelte, mince de taille avec les épaules et la poitrine sobrement mais délicatement arrondies, elle avait une vivacité juvénile. D’abondans cheveux bruns, en ce moment lissés en bandeaux plats et dissimulés sous une mantille de dentelle noire, s’harmonisaient avec les tons dorés de la peau, l’éclat des yeux bordés de longs cils et le rouge vif d’une bouche assez grande aux lèvres charnues. Une mèche entièrement grise, tranchant sur le brun foncé de l’un des bandeaux, donnait une note d’étrangeté à la physionomie. Le nez long, au modelé très ferme, et deux sourcils noirs très accusés y ajoutaient un accent de sévérité corrigé par l’expression de bonté de la bouche et l’humide lueur des yeux pailletés d’or. Toute la personne un peu maigre de la veuve renfermait je ne sais quoi de concentré et d’ardent. Née dans la montagne langroise, elle avait le caractère distinctif des habitans de ces plateaux âpres et brûlés : un tempérament de pierre et de feu, beaucoup de passion et de sensibilité sous une froideur et une dureté apparentes.

À cette heure printanière, il semblait que Mme Lebreton subit l’influence du milieu qui l’entourait. Le bain d’air tiède et fondant dont elle était enveloppée amollissait les fibres de sa nature résistante. Le susurrement des eaux limpides, l’odeur des merisiers épanouis, les brèves phrases musicales des fauvettes lui causaient une vague ivresse attendrie. Elle marchait d’un pas plus vif, la tête penchée, les paupières demi-closes, les lèvres serrées, et elle atteignit rapidement l’une des clôtures du parc. Arrivée à une petite porte qui ouvrait sur les prés, elle la poussa, se trouva dans un chemin couvert qui longeait l’Aubette dans la direction de la Grand’Gombe, et s’y engagea sans hésiter, heureuse de marcher à l’aventure, de se mêler à l’allégresse répandue au-dehors, de s’enfoncer sous ces feuillées invitantes qu’elle voyait moutonner de tous côtés.

Tout en suivant ce sentier familier, entre ces cépées de noisetiers