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vageonne, à cause de ses allures et de son caractère indomptable… C’est justement cette sauvagerie qui nous a forcés à la mettre au couvent. Ici, on n’en pouvait plus jouir, et là-bas, au Sacré-Cœur, elle a donné plus d’une fois du fil à retordre à ces dames.

— Quel âge a-t-elle ?

— Seize ans bientôt… Elle commence à devenir raisonnable, et je compte la reprendre avec moi aux vacances prochaines…

Cet entretien, roulant sur un sujet étranger aux préoccupations actuelles de Mme Adrienne, avait fini par lui rendre un peu d’aplomb. Elle se sentait plus à l’aise que dans le salon. Après avoir parcouru toute la partie éclairée, ils étaient arrivés à un endroit où l’allée plongeait dans l’ombre profonde des arbres entre-croisés. Mme Lebreton aurait voulu revenir sur ses pas ; elle n’osa pas le faire, crainte de montrer une peur ridicule, et ils continuèrent à s’enfoncer dans la direction des charmilles. A mesure que l’obscurité devenait plus mystérieuse, la conversation languissait. Francis la laissa tomber tout à fait, et Adrienne, reprise de ses inquiétudes, ne trouva plus rien pour l’alimenter. Le sentier s’était rétréci. Ils étaient obligés de se serrer l’un contre l’autre pour passer de front. Mme Lebreton heurta du pied une racine à fleur de terre et s’appuya instinctivement à l’épaule de son voisin.

— Prenez mon bras, madame ! murmura Francis.

Elle obéit, mais elle était si troublée qu’elle fut obligée de ralentir le pas. Sous son bras droit, le garde-général seatait battre le cœur de la jeune femme, et lui-même était lentement envahi par une voluptueuse émotion qui lui serrait la poitrine et le prenait à la gorge. Une suave odeur de verveine dont les vêtemens d’Adrienne étaient imprégnés lui montait doucement au cerveau et le grisait. Ils étaient si rapprochés l’un de l’autre, qu’un moment il fut sur le point de l’enlacer d’une brusque étreinte et de la baiser à pleines lèvres… Cette explosion de la sève sensuelle qui fermentait en lui fut soudain comprimée par un geste familier et confiant de M’^^ Lebreton. Elle avait posé sa main sur le poignet de Francis":

— Écoutez ! fit-elle, si on ne dirait pas une musique, là-bas, au fond des bois…

Ils prêtèrent l’oreille. C’était le tintement argentin des sonnailles d’unroulier attardé, qui vibrait mélodieusement dans la paix sonore des futaies. Cette sonnerie légère et fuyante comme une musique de fées allait toujours diminuant et s’affaiblissant; elle s’évanouit peu à peu dans le lointain, et le silence plana de nouveau en maître sur la campagne.

Ils étaient revenus en pleine lumière, et tous deux, lentement, sous cette amicale clarté de la lune, savouraient sans rien se dire