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Son second caractère, c’est d’être un éclectisme, c’est-à-dire un emprunt à des doctrines très différentes et même contraires. En effet, c’est à la métaphysique qui a précédé Kant que se rattachent les notions du bien en soi et du libre arbitre ; d’autre part, les spiritualistes français admettent avec Kant l’impératif catégorique, l’autonomie de la volonté, la dignité humaine, l’homme considéré comme une « fin en soi ; » dans ces dernières idées, il est facile de reconnaître cette sorte de dogmatisme moral que Kant voulut substituer au dogmatisme métaphysique de ses prédécesseurs. Le spiritualisme français s’efforce donc de faire entrer dans son propre sein les doctrines nouvelles de Kant, sans pour cela rejeter les antiques doctrines des Platon, des Aristote, des saint Augustin, des Descartes, des Leibniz. C’est là une tentative d’un haut intérêt dont il importe d’examiner sérieusement la valeur, aujourd’hui que toutes les écoles sont en rivalité pour fonder une morale vraiment définitive. Les principes métaphysiques empruntés à l’ancienne philosophie par l’école spiritualiste française sont-ils certains ? les principes moraux qu’elle y ajoute avec Kant le sont-ils aussi ? Enfin, ces divers principes peuvent-ils se juxtaposer sans contradiction ? Telles sont les questions que nous aurons à résoudre, en soumettant à une critique attentive les doctrines morales des, plus éminens représentans du spiritualisme en France.


I

Le plus grand mérite du spiritualisme français, à notre avis, c’est de fonder la morale proprement dite sur la métaphysique, et son plus grand défaut, c’est de donner à sa métaphysique la forme d’un dogmatisme, au lieu de la présenter pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour un ensemble d’hypothèses. M. Janet, par exemple, a parfaitement raison de dire que le problème moral finit par « se confondre avec le problème métaphysique lui-même. » M. Ad. Franck est d’un avis semblable. M. Ravaisson, à son tour, approuve cette parole : « Considérer la morale comme indépendante de toute métaphysique, c’est considérer la pratique comme indépendante de la théorie. » M. Vacherot lui-même, on s’en souvient[1], en croyant faire de la psychologie pure pour établir les principes de la morale, avait réellement recours aux principes métaphysiques des causes finales, de la hiérarchie des facultés, de la distinction entre l’esprit et la chair. Enfin M. Caro a consacré une bonne partie de son livre sur les Problèmes de la morale sociale à montrer les rapports intimes de la

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1880.