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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/318

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à la maison de Simon le corroyeur, où la vision s’est produite. C’est une petite mosquée fort ordinaire. On y montre un bassin dans lequel Simon lavait, dit-on, ses peaux. Comme je n’étais pas encore habitué à retrouver partout les objets des premières années du christianisme parfaitement intacts, le bassin de Simon le corroyeur m’a fait quelque impression. Plus tard, après avoir vu, par exemple, les outres où l’eau fut changée en vin aux noces de Cana et les pierres qui ont servi à lapider saint Etienne, je n’y aurais pas même fait attention. N’étant pas non plus habitué aux reliques, j’ai serré avec soin une petite branche d’un figuier qui pousse contre la mosquée de Simon. Il paraît que ce figuier, déplacé par des mains impies, est venu de lui-même durant une nuit sombre rejeter ses racines à l’endroit où se tenait saint Pierre. Ce miracle me surprend beaucoup moins que celui de la prodigieuse fécondité du figuier. Chaque voyageur en emporte, comme moi, une branche, et l’arbre n’est pourtant point dépouillé.

Les rues de Jaffa sont singulièrement étroites, sales, tortueuses. Quelques-unes forment de vrais passages voûtés où le jour pénètre à peine. Au-dessus des maisons s’étendent des terrasses ; mais tandis que les terrasses du Caire ne sont entourées que de balustrades peu élevées, il règne autour de celles de Jaffa une sorte de mur à hauteur d’homme, tantôt plein, tantôt formé de cylindres en terre cuite disposés en forme de triangle qui permettent de voir sans être vu. On reconnaît tout de suite qu’on est dans un pays où les lois du harem sont restées sévères, où les mœurs ne les ont pas affaiblies et d’où elles ne disparaîtront pas sans peine. Les femmes que l’on rencontre dans les rues sont entièrement voilées. Elles ne montrent pas leurs yeux comme en Égypte. Quelques-unes d’entre d’elles et presque toutes les petites filles n’ont pas de jupes ; elles portent un large pantalon qui leur donne un aspect assez disgracieux. La population est très mélangée d’Arméniens, de Grecs et de juifs. Le marché offre un aspect pittoresque, comme tous les marchés d’Orient ; c’est là qu’on peut voir de près les différens types et les costumes divers des races qui habitent Jaffa. Mais ce qu’il y a de plus beau dans la ville, ce sont les jardins qui l’entourent et dont je parlerai plus tard, car on les traverse en se rendant à Jérusalem. Ma dernière visite à Jaffa a été pour une immense construction, la plus belle de toute la ville, dont les vastes proportions m’avaient fait reconnaître immédiatement un établissement d’utilité publique. C’est un hôpital qu’un riche Lyonnais, M. Guimet, élève à ses frais ; il ne coûtera pas moins de 200,000 à 300,000 francs. Tout est français en Palestine, les sentimens, les idées, les aspirations, et dans une très large mesure la langue ; tout est avec nous ou vient à nous. Malheureusement nous profitons mal de cette bonne volonté