les mœurs moins rudes. Deux frères se partageaient la seigneurie du bourg : Niccolo était allé chercher fortune à la cour de Ferrare en condottiere courtisan, et Manfredi, homme paisible, ami des arts, gouvernait au château.
Antonio Allegri naquit en 1492, à Corrège, de Pellegrino Allegri et de Bernardina Piazzoli Aramani, famille modeste qui vivait dans une honnête aisance. Son père, un marchand de drap, destina son fils à la carrière des lettres. Le plus distingué de ses instituteurs fut le docteur Lombardi, homme d’une culture universelle, qui avait professé les belles-lettres et l’éloquence à l’université de Bologne et de Ferrare. Le jeune Allegri reçut aussi des notions solides sur tous les sujets scientifiques et littéraires qui rentraient dans l’éducation du temps, et l’on peut croire que l’élève fit trésor des leçons d’un homme supérieur. Mais il refusa formellement d’entrer dans la carrière des lettres. Il était de ceux qui ne conçoivent le vrai qu’à travers le prisme du beau. Épris de la nature sous toutes ses formes, il se sentit attiré vers la peinture par le charme irrésistible et dominant d’une véritable passion. « Ce grand et doux songeur était né avec une âme exquise, vaste et profonde, forte et contenue. Sa puissance se voilait d’un sourire suave, le charme d’un rêve ineffable plana sur sa vie et enveloppa ses pensées comme ses actions d’une merveilleuse harmonie. Droiture de cœur, richesse, de l’âme, clarté et hauteur d’un esprit transcendant, voilà son génie en trois mots. De là cette allégresse intérieure et particulière d’un esprit en tout harmonieux et grand. » C’est pour cela que, non content de son nom d’Allegri, qui rendait bien cependant ce genre de sérénité, il prit l’habitude de signer ses tableaux du nom de Lieto, le joyeux.
Comment ce large et haut génie put-il naître et se développer dans une obscure bourgade ? Corrège était devenu un bourg très florissant, mais ne possédait ni école de peinture, ni musée, ni chef-d’œuvre d’aucun genre. Allegri n’eut pour maître que des artistes médiocres. Le sens du beau s’éveilla sans doute de bonne heure en lui, sous le charme de la campagne italienne. Il dut être étrangement ému sous les tiges sveltes de ce feuillage mince, argenté, délicat, qui se berce doucement au moindre souffle ; il dut se perdre souvent sous ces ombrages majestueux qui dessinent leurs ramures sur le ciel embrasé de lumière ; il dut palpiter devant l’immensité de ces horizons bornés par les pointes violettes des collines comme par les ondulations mourantes d’un océan lointain. Peut-être aussi qu’il sentit le désir de peindre devant une jeune fille endormie dans l’herbe, devant une mère jouant avec son enfant sous les grands ormes, et qu’alors il entrevit confusément ces types de nymphes et de madones que son pinceau caressa plus tard. Ses