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Corrège seul connut le charme d’une affection profonde et partagée, où chacun inspire ce qu’il ressent, et passa ses jours dans la chaude atmosphère d’une âme charmante qui vivait de son souffle.

Mme Mignaty croit trouver le portrait de Jéromine dans le type des madones que le Corrège peignit après son mariage, et particulièrement dans celle de Naples : la Bella Zingarina. Quoi qu’il en soit, c’est en regardant les Saintes Familles d’Allegri, ses madones et en général tous ses tableaux qui ont trait à la légende chrétienne, qu’on peut se figurer le charme de son intérieur. Quelle chaude lumière, quel éclat de coloris, quelle intimité délicieuse dans le Repos en Égypte, qui se trouve au musée de Parme ! Quelle poésie cachée dans la Bella Zingarina, assise au bord d’un ruisseau, et qui, la tête penchée, contemple son enfant endormi sur ses genoux ! C’est l’heure de la sieste. Elle-même dort à moitié ; ses yeux sont mi-clos, mais elle jouit encore de son extase maternelle. Tout est vivant dans le coin perdu de l’oasis : la nappe d’eau, le pied de la Vierge chaussé d’une sandale, les feuilles du palmier qui bruissent et l’ange qui s’y accroche. Tout semble s’intéresser au touchant mystère de la mère et de l’enfant, tout jusqu’au lapin blanc blotti dans l’herbe et qui dresse l’oreille.

Plus remarquable encore est la fresque du musée de Parme, la Madona della Scala, avec ses grandes paupières baissées, dont les beaux cils tamisent l’amoureuse tendresse. « La mère presse l’enfant sur son sein, celui-ci détourne doucement la tête vers le spectateur. Son bras entoure le cou de la Vierge, sa main s’accroche à son voile et repose sur les longues tresses soyeuses de ses cheveux. Mais sa pensée vague au loin. Le songe de l’idéal est dans ces yeux, qui semblent déjà refléter le mystère des mondes et sont remplis de clartés éblouissantes. L’enfant y est tout absorbé, l’homme en sera la victime. La mère, par contre, est absorbée en lui ; ils s’enlacent et s’enveloppent si harmonieusement qu’ils semblent ne former qu’un seul être. » Si l’on compare en général les madones du Corrège à celles de Raphaël, on trouvera que celles-ci sont d’une beauté plus régulière et d’une élégance vraiment princière. Elles se tiennent comme des filles de roi ou comme des fées. Mais elles sont plus préoccupées de la perfection de leur pose que de leur enfant ; à la longue, on y sent de la froideur et de l’indifférence. Celles d’Allegri, moins belles, moins parfaites, émeuvent davantage par la profondeur de leur sentiment, par leur poésie exquise et suave. Ce sont, avant tout, des mères passionnées et qui ont « tout le miel de la maternité. »