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de ma charge, de dire en cette place tout ce qui regarde le service du roi ; j’estime en conscience que, pour remédier aux désordres publics il faut aller à la racine du mal et détruire les effets en s’attaquant à la cause. » Condé voulait répliquer ; un murmure s’élevant de tous les côtés de la salle couvrit sa voix.

Retz a vivement décrit l’étrange puissance des discours du premier président Mathieu Mole. « Cet homme, dit-il, avoit une sorte d’éloquence qui lui étoit particulière ; il ne connoissoit point d’interjection ; il n’étoit pas congru dans sa langue ; mais il parloit avec une force qui suppléoit à tout cela, et il étoit naturellement si hardi qu’il ne parloit jamais si bien que dans le péril. » Mathieu Molé avait soixante-trois ans en 1648. Sa haute taille, son front large et sévère, les cheveux flottans qui encadraient sa mâle figure, une longue barbe en éventail, tout en lui imprimait le respect. La majesté des temps héroïques du parlement semblait revivre en sa personne. Dominant l’assemblée de son visage impassible, il apaisait le tumulte des chambres réunies par le seul aspect de cette tranquille assurance qu’aucun bruit, aucune clameur ne déconcertait. Quand la rumeur devenait tempête, il prononçait d’une voix forte et vibrante ce simple rappel à la règle : « Patience, messieurs ! Allons d’ordre ! » Puis il prenait de la main sa longue barbe, ce qui était chez lui l’unique signe de colère et d’émotion. Les trente-quatre portraits gravés que nous connaissons de ce personnage expriment tous, quelle qu’en soit la dimension et la date, l’énergique sérénité de son âme intrépide. Sur l’un d’eux se lit cet exergue qui résume son histoire : Il ne change jamais de cœur ni de visage.

Dans ce cœur immuable il y avait un sentiment profond qui le possédait tout entier et d’où sortait, par de soudains éclats, sa rude éloquence. Libre envers les partis, dévoué sans réserve au bien de l’état et à la dignité du parlement, Mathieu Molé réprouvait tout ensemble la violence des passions frondeuses et les représailles imprudentes de la cour ; gardien des droits de sa compagnie, il entendait rester le défenseur non moins résolu de l’autorité nécessaire de la couronne ; c’étaient là pour lui deux causes également sacrées qu’il voulait rapprocher et non désunir. Sa loyauté, prête à tenir tous ses engagemens, à remplir tout son devoir, se sentait capable de concilier ces deux fidélités et de leur donner satisfaction. Dans la confusion croissante des intérêts en lutte et des ambitions égoïstes, qui bientôt échappaient à la direction du parlement, le danger de l’invasion étrangère et de la guerre civile, trop oublié ou trop désiré par les factions, le préoccupait avant tout ; il avait l’œil fixé sur cet écueil où la commune folie poussait l’état, et dès que la crise s’aggravait, dès que le mouvement, qu’on ne maîtrisait