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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/371

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n’avons qu’un refus à leur annoncer ! Une fois déchaînés dans la ville, ils feront ce qui leur plaira, ils forceront les maisons qu’ils voudront piller, ils ruineront et détruiront ce qui paraît le plus assuré. Qui pourra, madame, en ces voies de fait, garantir ce palais et vos personnes ? Tout peut être tenté par un peuple en fureur. Le refus de cette grâce demandée avec tant d’instances sera la ruine certaine de votre autorité. »

Pendant le siège de Paris, en février 1649, les chefs militaires de la fronde, repoussant tout accommodement avec la cour, proposèrent de recevoir au parlement l’envoyé de l’archiduc Léopold, qui apportait une lettre du roi d’Espagne et une offre de médiation. Au seul nom de cet émissaire espagnol, tous les conseillers que la passion du moment n’égarait pas, tous ceux qui demeuraient fidèles aux souvenirs patriotiques de 1593, se sentirent blessés dans leur orgueil de Français et dans leur honneur de magistrats. On président à mortier de la grand’chambre, M. de Mesmes, se tournant vers le prince de Conti, qui insistait pour l’audience, lui lança cette apostrophe que Retz a rapportée : « Est-il possible, monsieur, qu’un prince du sang de France propose de donner séance sur les fleurs de lys à un député du plus cruel ennemi des fleurs de lys ! » Mathieu Molé prit la parole, « avec plus d’émotion qu’à l’ordinaire, » et soutint la résistance par un discours dont Retz n’a rien dit, mais dont un fragment est cité par notre journal manuscrit. « Quelle confiance peut donc nous inspirer notre mortel ennemi le roi d’Espagne ? Pensons-nous que son dessein soit la pacification du royaume, et que de prince usurpateur de toute l’Europe il devienne si charitable que de nous tirer et de nous sauver de nos divisions ? Non, messieurs ; il veut nous y précipiter plus avant, si notre prudence n’évite le piège qu’il nous prépare. Que dira la postérité lorsqu’elle verra dans nos registres que le parlement a refusé d’ouvrir les lettres de M. le duc d’Orléans, de la reine mère et les a renvoyées toutes fermées au roy, et qu’il a reçu celles de l’archiduc Léopold ? Que dira-t-elle lorsqu’elle verra que le parlement n’a point voulu entendre l’envoyé d’un frère de son roy, d’un prince du sang, d’une régente de France, de la mère de son roy, et qu’il entend aujourd’huy l’envoyé de l’ennemi de l’état, déclaré tel dans la compagnie ! Lorsqu’elle verra qu’en deux jours un hérault du roy, une personne publique qui se fait passage partout, non-seulement n’a pas esté entendu dans le parlement, mais a esté repoussé de la capitale du royaume, et qu’un envoyé de l’archiduc, d’un ennemi acharné de la France, sans aucune marque de personne publique et avouée, a non-seulement esté reçu dans Paris, mais encore entendu dans le parlement,