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fait, pour ainsi dire, son essences et la religion presque entièrement bouleversée ? Devons-nous nous soumettre, lorsqu’on veut imposer à notre foi des écrits où l’on canonise la persécution ? On veut, sans doute, nous faire croire que c’est en persécutant que l’on monte au ciel. Aveugles, ceux qui s’en flattent ! malheureux, et mille fois malheureux, ceux qui ont intérêt à s’en flatter ! insensés, ceux à qui ils le persuadent ! Pour nous, nous n’érigerons jamais d’autels à de semblables vertus. Les saints se sont sanctifiés par la persécution qu’ils ont subie ; nous n’en trouverons aucun qui ait mérité ce titre pour avoir été persécuteur… Ces objets, monsieur, devroient bien vous émouvoir. Pénétrez-vous de l’esprit de la compagnie, et, afin que vous parliez de son aveu et selon ses vues, faisons un arrêté dans lequel nous vous chargerons, monsieur, de tenir le même langage que le premier président tenoit en 1726. » — Cette mercuriale, adressée au chef du parlement par un simple conseiller encore jeune, justifie bien le mot que Barbier, à cette même date, écrivait dans son journal : « On a traité le pauvre premier président Portail comme un galopin. »

Le conseiller Robert, de la grand’chambre, âgé de soixante-dix ans, s’autorisant de la gravité des événemens et de la liberté de l’âge, reprocha publiquement au chancelier d’Aguesseau d’avoir trahi ses anciennes convictions : « Se peut-il, monsieur, que vous qui, en 1715, avez consenti à perdre votre charge de procureur-général plutôt que de soutenir cette détestable cause, vous en soyez aujourd’hui le promoteur ? Qu’est devenu le zèle intrépide que vous témoigniez alors ? La vérité dépend-elle des conjonctures des temps ? Se peut-il que vous veniez ici en personne essayer de détruire des maximes que les plus terribles menaces n’étoient pas capables de vous faire abandonner autrefois ? Quantum mutatus abillo ! » La majorité répéta, d’enthousiasme et avec applaudissement, la citation : le conseiller Robert, appréhendé pendant la nuit, fut conduit et séquestré au fort de Bellisle-sur-Mer ; sa détention dura six mois.

Au fond, il y avait plus de défiance et de rancune gallicane que de casuistique janséniste dans cette opposition parlementaire. C’est en inquiétant l’ombrageuse fierté française de notre ancienne magistrature que les orateurs du parti avaient prise sur cet illustre corps, gardien vigilant de l’indépendance nationale, ennemi héréditaire des souplesses italiennes et des envahissemens du génie romain. L’abbé Pucelle donnait à l’expression de ces craintes et de ces antipathies, que l’église de France n’ai pas toujours condamnées, une vivacité d’accent, une verdeur toute militaire. Rappelant les rigueurs déployées contre les plus fermes soutiens du