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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/450

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Ne vous inquiétez donc pas, dit-on, de la supériorité apparente ou réelle soit de l’importation, soit de l’exportation ; il est inutile de compulser les statistiques, dormez en paix sur les deux oreilles. Par la force des choses, tout s’équilibre et se compense fatalement, d’après ce principe indiscutable et certain établi par Bastiat que les produits se paient en produits.

Assurément il y a eu et il y aura toujours échange de produits, mais l’échange est-il invariablement équivalent ? Voilà ce qu’il est difficile d’admettre. Car si les produits ne s’échangeaient que contre des produits d’une équivalence exacte, toutes les nations se trouveraient également riches ou également pauvres, puisqu’elles n’auraient échangé entre elles que des objets de valeur absolument égale. Ne se trouve-t-il pas d’ordinaire une différence, un appoint, un pourboire qui se solde en argent ou en or ?

Ne voit-on pas des gens et des nations qui se sont fait des fortunes avec les différences et les pourboires de l’échange international ? Si la France a placé 30 milliards à l’étranger, si l’Angleterre en a placé 60, d’où sortent ces 90 milliards nullement fictifs, puisqu’ils rapportent intérêt ? Ils ne peuvent avoir d’autre origine que la vente d’une certaine quantité de produits contre paiement en numéraire sonnant ou en papier fiduciaire, et non pas seulement en produits tout à fait équivalens. Paix et respect aux hommes de talent et de bonne volonté, mais ne voilà-t-il pas encore une affirmation de principe à reléguer au magasin des accessoires démodés ?

D’ailleurs, le stock métallique de la France et tout l’or de l’Angleterre, d’où viennent-ils, sinon de la supériorité de valeur et de vente des exportations sur les importations ? Londres est le grand marché de l’or du monde entier, et les Anglais veulent conserver ce monopole. On le voit bien dans la conférence internationale au sujet du bimétallisme, brillamment défendu par M. Cernuschi, mais en vain, croyons-nous. Comment expliquer la présence de tant d’or dans la France et l’Angleterre, dont le sol n’en fournit pas une parcelle utilisée, sinon par ce fait que les produits s’échangent souvent, en partie tout au moins, contre de l’or, contre du capital circulant sous une forme ou sous une autre ?

On nous accusera peut-être d’abuser des digressions ; ce serait à tort. L’avocat de la défense n’est-il pas obligé de répondre à tout ce qui lui est objecté et de soutenir le débat sur chacun des points où il plaît à la partie adverse de le placer ?

Entre les différens groupes qui discutent ces délicates questions, et au nom de principes douteux, qui d’entre nous aurait le droit d’excommunier les autres et de former ces petites églises d’admiration mutuelle qui dégénèrent en coteries exclusives ?