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de la sagesse, mettait toute prévoyance à néant et jetait un souverain, des hommes d’état sur une route dont on négligeait avec une telle infatuation de s’ouvrir les issues ? — Dans les premiers jours de juillet, la Vierge étant apparue en songe au prinpe de Polignac et lui avait dit : « Va ! ton œuvre est bonne, accomplis-la ! » Le ministre avait fait part à Charles X de cette intervention surnaturelle et tous deux y avaient vu la certitude du succès. Quoi que l’on ait pu savoir de la faiblesse d’esprit de celui que Chateaubriand appelait « un muet propre à étrangler un empire, » ce fait a de quoi surprendre ; il peut passer pour une fantaisie imaginée après coup par un adversaire, politique de la maison de Bourbon. Ce fait m’a été raconté, au moment du rétablissement du second empire, par le grand orateur légitimiste, par Berryer, qui le tenait du prince de Polignac lui-même. En 1846, un an avant sa mort, celui-ci disait encore : « En présence d’une si glorieuse apparition, toute hésitation eût été criminelle ! »

On ne se doutait guère alors de pela dans Paris pendant que

La grande populace et la sainte canaille
Se ruaient à l’immortalité,


et que l’on donnait la chasse aux Suisses, aux gendarmes et aux soldats de la garde royale. La victoire populaire fut complète et couronna Louis-Philippe. Je n’avais pas assisté à ces événemens ; nous étions, par hasard, partis pour Mézières dans la matinée du 27 juillet, et lorsque nous rentrâmes à Paris, vers la fin de septembre, toutes les fenêtres étaient encore pavoisées de drapeaux tricolores et on continuait à acclamer Lafayette chef de la garde nationale, qui était devenue « la base inébranlable sur laquelle s’appuyait un trône entouré d’institutions républicaines. » — Depuis plus d’une année, nous avions quitté l’hôtel de Chaulnes ; nous habitions dans la rue des Petits-Champs, que le commerce n’avait pas encore envahie, un appartement qui prenait jour sur la place Vendôme, et nous nous étions ainsi rapprochés de la famille de Cormenin. Ce fut sans grand bénéfice pour Louis et pour moi, car il allait à la pension Morin, rue Louis-le-Grand, et l’on m’expédiait chaque matin à la pension Saint-Victor, située rué Chanteraine, qui ne redevint la rue de la Victoire qu’après les journées de juillet[1]. Cette pension était dirigée par un homme qui eut quelque notoriété et remporta plus d’un succès dramatique. Le père Goubaux, comme nous

  1. J’écris Chanteraine et non Chantereine, car la rue en question avait pris la place de la ruelle du marais des Porcherons et doit certainement son nom aux grenouilles, — rana, reine, — qui y chantaient.