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non-seulement a tout dit sur l’amour, mais il a plaidé à son sujet les thèses les plus contradictoires, tantôt pour le maudire, tantôt pour le bénir, en sorte que les pessimistes les plus cyniques peuvent trouver dans ses œuvres l’expression de leurs plus noirs ressentimens, comme les amoureux les plus candides l’expression de leur foi la plus confiante. Dans André del Sarto, Musset ne maudit ni n’adore l’amour, il le regarde agir avec une sorte de terreur hagarde, presque respectueuse, à peu près semblable à la terreur que les Romains de la fin du XVe siècle devaient éprouver lorsqu’ils passaient devant quelqu’un des palais habités par les Borgia, ou à celle dont devaient être saisis les bourgeois de Venise lorsqu’ils regardaient les bouches dénonciatrices de la place Saint-Marc. Quoi qu’il en soit, ce petit drame fut le point de départ d’une série de productions plus aimables qui se succédèrent de 1833 à 1837, alternant dans les pages de la Revue avec les poésies lyriques. Faisons halte devant ce théâtre de Musset pour en tout dire en une même fois ; aussi bien ces œuvres aimables, toutes diverses qu’elles soient, se ressemblent par trop de traits pour supporter un jugement autre que général.

Il y avait quelque chose d’épigrammatique dans le titre que Musset avait donné à son second volume de poèmes et l’on pouvait y voir le dépit d’un auteur à qui la scène est interdite. Dès ses débuts, en effet, Alfred de Musset s’était senti une préférence pour la forme dramatique. Un jour même il avait eu l’ambition de tenter le théâtre ; la petite comédie la Nuit vénitienne, représentée à l’Odéon en 1832, fut le fruit de cette ambition. La tentative ne fut pas couronnée de succès, et, en dépit de quelques heureux passages, nous ne pouvons pas dire que nous nous en étonnons ; mais Musset, qui avait ses raisons pour penser autrement que nous, prit la chose très à cœur, d’où ce titre le Spectacle dans un fauteuil qui équivalait à dire : Votre injustice m’ayant éconduit de la scène, me voilà contraint de par vos brutalités a me faire auteur dramatique en chambre. La Revue lui permit de se livrer en toute liberté à cette inclination de sa nature, et il résulta de cette liberté le genre nouveau de la comédie de fantaisie, genre tellement sans ressemblance avec les productions de notre littérature dramatique antérieure que, pendant très longtemps, on regarda ces comédies comme de petits poèmes en prose, délicieux sans doute, mais impropres à la scène, et que, lorsqu’elles furent représentées à la Comédie-Française, on s’étonna de voir qu’elles répondaient à toutes les exigences de l’art dramatique.

En inventant la comédie de fantaisie, Alfred de Musset avait inventé le genre le mieux approprié à la nature ordinaire de ses