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J’ai dit que la comédie de fantaisie telle que Musset l’inventa est un genre entièrement nouveau ; mais il n’y a rien ici-bas qui ne naisse d’un germe, et on a beau être original,

On est, dit Brid’oison, toujours fils de quelqu’un.


Le difficile souvent, comme dit Télémaque dans Homère, est de nommer le père véritable. Pour la comédie de fantaisie de Musset la question au moins est sans obscurité ; il est incontestable qu’en créant ce genre, il est deux poètes dont il s’est souvenu, Marivaux et Shakspeare. Il s’est souvenu d’eux, et ce mot dit la part qu’ils ont eue à sa création ; ils ont agi sur lui par suggestion, ce qui est la manière dont les vraiment grands poètes communiquent leur fertilité aux talens capables de la recevoir. L’influence de Marivaux est sensible dans Il ne faut jurer de rien, un Caprice, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ; celle de Shakspeare est évidente dans les Caprices de Marianne, Fantasio, On ne badine pas avec l’amour, Carmosine. Sans les imiter, il s’est inspiré d’eux et est parvenu à faire siens quelques-uns de leurs dons par cette faculté d’assimilation qui est propre à tous les vrais poètes et qui chez lui est merveilleuse de finesse et de subtilité. Ce comique hyperbolique de Musset, si riche en métaphores excentriques et en comparaisons bouffonnes dans certaines scènes des Caprices de Marianne, de Fantasio, de On ne badine pas avec l’amour, vient en droite ligne de Shakspeare et n’est autre chose que cet esprit d’imagination qui brille dans Comme il vous plaira, le Soir des rois, Beaucoup de bruit pour rien et le personnage de Falstaff ; mais ce comique humoristique, Musset se l’est si complètement approprié par son commerce familier avec le grand poète qu’il est devenu son langage naturel. Ce n’est pas qu’il se refuse des emprunts beaucoup plus directs. Musset avait lu beaucoup plus qu’on ne le croit généralement, beaucoup plus même que ne le soupçonne son frère, qui, en nous renseignant à ce sujet, nous fait une énumération trop sommaire des livres qui lui étaient familiers, et les traces de ces lectures ont fréquemment passé dans ses œuvres. Je ne dis rien de Carmosine, qui n’est que la transformation d’un conte de Boccace, ce genre d’emprunt étant celui que Shakspeare a pratiqué toute sa vie, et dont aucun poète ne s’est jamais fait scrupule ; mais savez-vous que la Quenouille de Barberine tout entière n’est en rien de l’invention du poète, et qu’elle n’est qu’une transcription, ou, comme on dit aujourd’hui, une adaptation faite avec un goût parfait d’une pièce d’un contemporain de Shakspeare, Philippe Massinger, intitulée : the Picture ? La stratagème dont se sert