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d’ailleurs qu’ils ne peuvent pas tout attendre d’elle, ils réclament un régime de liberté.

Au fond, la liberté ne leur a jamais été contestée, et ils ont toujours été maîtres de faire ce qu’ils jugeaient être le plus favorable à leur intérêt. Il ne faudrait donc pas trop presser ici le sens du mot que l’on emploie et en conclure qu’il s’agit d’un affranchissement. Les artistes opprimés ! qui donc voudrait le croire ? Dans leurs revendications, ils n’entendent point s’immiscer dans l’administration. Ils ne songent aucunement à se substituer à l’état. Ce qu’ils désirent, c’est de voir régler, à certains égards, une situation que la force des choses a rendue confuse. Le mouvement d’opinion qui se produit chez eux et qui se justifie peut paraître artificiel ; mais il est incontestable, et la liberté de l’art est devenue une question. Elle s’est engagée cette année sur un point où elle avait véritablement raison de se poser : à propos du Salon ; et après avoir été examinée attentivement, elle a été résolue, en principe, dans le sens de l’émancipation des artistes. Ils pourront donc à l’avenir, si l’exposition qu’ils dirigent en ce moment réussit, s’ils se constituent en une société durable et si le soin d’organiser les Salons annuels leur est définitivement abandonné, ils pourront, avec toute latitude, diriger les expositions au mieux de leur intérêt et de la liberté.

Est-ce à dire que l’état qui accepte cette situation ou plutôt qui vient de la définir, veuille abandonner l’art à lui-même ? N’aura-t-il plus rien à voir dans sa haute direction ? Va-t-il abdiquer ? On ne saurait l’admettre. La France ne cessera pas d’être un pays de gouvernement. L’intervention de l’état continuera à s’exercer d’une manière légitime et nécessaire. N’a-t-il pas le devoir de répandre dans le pays tout entier la notion du beau ? Il le reconnaît d’une manière générale en introduisant l’enseignement du dessin dans toutes ses écoles. Mais il a, au développement des arts, un intérêt particulier. Prenant la suite d’une longue tradition et tenant compte des manifestations séculaires du génie national, il considère que toutes les fois qu’il élève un édifice, qu’il fait exécuter un tableau ou une statue, il laisse un témoignage, il inscrit une date dans nos annales. Pour construire des monumens et pour les décorer, pour reproduire les faits qu’il entend consacrer par le pinceau ou par le ciseau, il a besoin d’ ! architectes, de peintres, de sculpteurs. Ces artistes, il veut qu’ils soient formés à la pratique la plus élevée de leur art, afin que leurs œuvres soient à la hauteur des sujets qu’il leur propose et dignes du passé. Il a une école spéciale pour les préparer à cette tâche, et il a des récompenses pour exciter leur émulation.