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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/695

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sérieusement compromise, qu’on vit tout à coup la machine se désagencer et la Russie se découdre ? Les slavophiles qui sont aujourd’hui en faveur à Saint-Pétersbourg ne prêteront jamais les mains à des projets si contraires à leurs visées. Ils rêvent d’englober dans l’unité de l’empire les Bulgares, les Rouméliotes, les Serbes, les Ruthènes et les Tchèques ; comment pourraient-ils souffrir qu’on octroyât aux Polonais le droit de s’administrer eux-mêmes ? Les jacobins ont toujours accusé la gironde de pousser au fédéralisme ; la gironde russe ne trouvera pas grâce devant les jacobins panslavistes de Moscou, dont la prétention est de tout niveler et de tout aligner au cordeau.

Tandis que les rétrogrades préconisent l’ancien système, que les libéraux réclament pour leur pays ce qu’ils appellent les institutions nécessaires et que les slavophiles engagent l’empereur Alexandre III à s’inspirer des traditions nationales et à prendre le contre-pied de tout ce qui se fait en Europe, les paysans, qui constituent l’immense majorité de la nation, n’ont cure de tout ce bruit qui se fait autour d’eux, et il faut convenir qu’en matière de réformes politiques ils ne demandent rien. Ils désirent seulement qu’on leur vienne en aide. L’émancipation n’a pas été pour eux un bienfait à titre gratuit. Ils ont payé deniers comptans le cinquième du lopin qui leur était adjugé, et ils se sont engagés à verser dans les caisses de l’état pendant de longues années le 6 pour 100 du prix de leur terre, afin de le rembourser des indemnités qu’il avait allouées à leurs seigneurs. La plupart n’ont pu s’acquitter de leurs obligations, et ils ont besoin qu’on les en dégage ou qu’on leur fasse grâce de l’arriéré. Dans la disposition d’esprit où ils sont, tous les moyens leur semblent bons pour améliorer leur triste sort, et ils ne répugnent pas aux violences. Ce qui vient de se passer dans la Russie méridionale en fait foi. Ils s’en sont pris d’abord aux exploiteurs juifs, les propriétaires orthodoxes auront peut-être leur tour. Mais ce n’est pas pour procurer un parlement à la Russie qu’ils feront des émeutes. Ils croient que la femme est faite pour obéir à l’homme, ils croient que les champs, comme les rivières, sont à tout le monde, et ils croient aussi que le tsar est le représentant de Dieu sur la terre ; ils ont une foi aveugle, absolue en son omnipotence, un respect religieux pour son infaillibilité. Toutes les propagandes qu’on a pu faire pour les guérir de leur idolâtrie ont été en pure perte, les idoles ont la vie dure.

Quand Vladimir Ier, dit le Saint, régnait à Kiev, le dieu des Slaves était le grand Peroun, qui avait, comme on sait, une tête d’argent, des oreilles d’or, des pieds de fer et la foudre dans le creux de sa main. Vladimir se dégoûta de Peroun, il avait des torts ou des indélicatesses à lui reprocher, il résolut de changer de religion et il alla aux renseignemens. Le judaïsme ne lui sourit pas, ni le mahométisme non plus ; il