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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/700

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les critiques d’assister aux reprises des pièces et aux débuts des acteurs, s’est rendu enfin à nos justes reproches et s’est retenu sur cette courtoise manie. « Quoi ! disions-nous, faut-il faire tant de bruit pour remettre en bon état des ouvrages qu’on devait toujours y tenir ? Peut-on nous déranger pour nous montrer que, dans les Précieuses, on a changé le petit laquais et le second porteur de chaise ? » Nous devons, cette fois, nous tenir satisfaits : on a eu cette modération de se passer fort bien de nous. Quelques-uns pourtant, d’humeur contredisante, ont réclamé telle ou telle de ces corvées qu’on leur épargnait ; c’est ainsi que j’ai vu le Mariage de Figaro, et je ne ferai aucune difficulté de convenir que je ne m’y suis pas déplu.

Vous vous rappelez sans doute la reprise de l’an dernier ; c’était plus qu’une reprise : une restauration. Cette bizarre machine, qui se nomme si bien la Folle Journée, depuis quarante ans au moins n’avait pas été rajustée : j’entends que la pièce, jouée trois cent cinquante fois, n’avait pas été répétée une seule. On se contentait d’un record, à chaque nouvel interprète ; on se fiait à la mémoire, au scrupule des anciens. M. Perrin, qui ne fait rien à la diable, employa plusieurs mois à faire répéter la pièce, comme une œuvre nouvelle, le manuscrit en main : il prétendait, par ce travail d’ensemble, assurer le jeu de la machine et l’accorder pour ainsi dire. Il advint au contraire que jamais l’harmonie n’en avait paru si compromise. L’instrument était bien repoli et reverni, paré de couleurs plus fraîches et comme de grâces nouvelles ; mais, à l’épreuve, on trouvait que le jeu s’en était ralenti, que la mesure, à chaque instant, s’y trouvait rompue et que les intervalles des tons n’y étaient plus gardés. D’abord on accusa de ce fâcheux désordre la distribution des rôles de femmes. « Mlle Croizette, disait-on, est une soubrette bien considérable pour une comtesse comme Mlle Broisat, et Mlle Broisat une comtesse bien pauvre pour une soubrette même ordinaire ; quant à Mlle Reichemberg, si jamais ce Chérubin vient à inquiéter cette Suzanne, — ah ! pécaïre ! d’un tour de main elle le mettra dans sa poche ! Il est malaisé de ne pas sourire quand Mlle Croizette dit de Mlle Reichemberg : « Il est à peu près de ma grandeur ; » et l’on ne peut admettre qu’Almavira, si mari qu’il soit, trouve le bras de Mlle Broisat plus « rondelet » que celui de Mlle Croizette. » Mais bientôt on se douta que le mal venait d’ailleurs. Les invraisemblances de ce genre ne sont-elles pas acceptées à la scène ? et même, s’il le faut, n’en tolère-t-on pas de plus fortes ? Ne consent-on pas que Richelieu, dans une obscurité plus épaisse, mais cependant moins trompeuse que celle des marronniers de Figaro, prenne Mlle de Prie pour Mlle de Belle-Isle ? Et si l’on renonce à discuter les chances d’une telle méprise, va-t-on chicaner des comédiennes sur les différences de leurs tailles et de leur embonpoint ? Non, non, les poids ni les mesures des acteurs n’importent guère, ni le rapport du poids de l’un à celui de son camarade : les convenances morales importent