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bailliage et capitainerie de la varenne du Louvre ? Certes, il en voulait à plus d’un courtisan. Pourquoi ? N’était-ce pas parce qu’il avait payé sa noblesse, et que ces gens-là feignaient d’ignorer qu’il en eût quittance ; ne pouvant changer le préjugé, il n’avait pas fait de difficulté de s’y soumettre : il voulait au moins avoir le bénéfice de sa soumission. De même il détestait les magistrats, mais il jugeait les délits de chasse à la grande-vénerie de France, et si plus tard il s’écriait : « Aujourd’hui qu’il n’y a plus, Dieu merci ! de chasse à conserver, je n’ai plus l’ennui de recevoir des requêtes, » pendant des années il n’avait eu garde de renoncer à cet ennui. Il pouvait bien écrire un poème sur l’optimisme, où l’esclavage était déploré ; mais, comme l’esclavage existait encore, il se résignait à former un plan pour fournir d’esclaves toutes les colonies espagnoles. Il maudissait, et pour cause, les lettres de cachet ; mais il ne refusait pas à une famille amie de solliciter une de ces lettres contre un fils indocile. Enfin, quelque temps après qu’une de ses brochures sur la guerre d’Amérique avait été en partie supprimée, chargé à son tour par le lieutenant de police d’examiner un écrit « politiquement badin, » sur le même sujet, il n’hésitait pas à déclarer, lui, le père de Figaro, que l’ouvrage manquait « de cette décence patriotique si peu commune dans ce pays-ci, où l’on plaisante sur tout. » Cherchons-nous quelle était, au demeurant, sa politique ? Le dauphin, fils de Louis XV, proclamait que c’était le seul écrivain qui lui parlât avec vérité. Quand Necker devint ministre, Beaumarchais dit à Maurepas : « Au moins voilà le règne des plats protégés passé ; le vrai mérite enfin fait des administrateurs. » Mais fallait-il pour cela être un révolutionnaire ? Tout en aidant de ses ressources les insurgés d’Amérique, tout en les appelant « ses amis les hommes libres, » lui qu’on surnommait « le Wilkes français, » il n’allait pas jusqu’à souhaiter pour nous une charte à la manière anglaise. Tandis que Wilkes, de l’autre côté du détroit, appelait un vent qui fît « choir des têtes, » Beaumarchais écrivait au roi : « Le malheureux peuple anglais, avec sa frénétique liberté, peut inspirer une véritable compassion à l’homme qui réfléchit ; » et, le lendemain de la prise de la Bastille, en renvoyant à son capitaine un soldat de Salis-Allemand, il terminait par ce vœu : « Dieu sauve le roi, le rende à son peuple, qui à travers sa fureur n’a pas perdu le saint respect de ce nom sacré ! .. Tout le reste est à la débandade ! » Est-il besoin de dire que la suite des événemens le surprit, et qu’il n’aima pas voir sa belle maison du boulevard « dévouée » à la ruine par les poissardes du cimetière Saint-Jean ? On sait comme il réclama contre les représentations de Charles IX « dans ce temps de licence effrénée où le peuple avait beaucoup moins besoin d’être excité que contenu ; » et s’il écrivit, en 1790, après que le droit commun eut été rendu aux protestans : « Quelque mal personnel que puisse me faire la révolution, je la bénirai pour le grand bien qu’elle vient d’opérer, » cela ne l’empêcha