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intérêts d’une législation. Chose étrange ! ici au contraire la légalité existante a comblé et dépassé les espérances de ceux qui ont, à l’heure qu’il est, la prépondérance dans le parlement et qui ne trouvent rien de mieux que de briser l’instrument auquel ils ont dû la puissance. Cette légalité, elle a produit des chambres républicaines, non-seulement, comme on le dit, en 1877, sous. le coup d’un retour offensif de réaction qui provoquait l’unité des efforts de résistance, mais en 1876, lorsque la première expérience de la loi électorale s’accomplissait sous les auspices d’un ministère conservateur. Juge-t-on que les fruits de l’expérience aient été amers ? trouve-t-on que cette chambre de 1876 et de 1877, bien que réunissant la fleur du parti républicain, ait été décidément insuffisante, pleine de préjugés, vulgairement agitatrice et stérile ? Ce serait un peu sévère de la part d’ennemis avérés. Qu’est-ce donc lorsque ce sont des amis, des membres de la majorité elle-même qui, pour justifier leurs projets de réforme, sont obligés de sous-entendre qu’un certain nombre de leurs collègues ne représentent qu’une médiocrité incohérente, lorsque c’est un président qui descend exprès de son fauteuil pour offrir de si gracieux complimens à ceux qui lui ont donné son autorité ? Le spectacle est au moins nouveau. M. Gambetta sait relever les questions, sans doute. Il nous assure que la chambre a été ce qu’elle pouvait être avec son origine, et que le moment est venu où le scrutin de liste est nécessaire pour donner plus de cohésion à la majorité, plus de force au gouvernement, pour créer Une situation où l’on puisse pratiquer avec suite, avec autorité, la politique de l’état républicain. Eh bien ! soit, la chambre qui va mourir n’a point suffi à son rôle ; mais est-on sûr que le scrutin d’arrondissement soit le seul Ou le principal coupable, que sous le régime du scrutin de liste, même avec les candidatures parisiennes qui iront chercher fortune en province, le résultat sera sensiblement différent, que dans ce parlement nouveau il y aura des capacités inconnues jusqu’ici, un esprit politique supérieur ? Croit-on que le scrutin de liste suffira pour créer des majorités qui ne soient plus subordonnées à des intérêts locaux ou personnels, pour susciter des ministères à l’intelligence résolue, pour donner à la république la politique que M. Gambetta invoque pour elle ? S’il n’y avait qu’à modifier un article de loi et à transporter une boîte de scrutin de l’arrondissement au département, ce serait trop facile. Ne voit-on pas que tenter les expériences et braver l’inconnu dans ces conditions sans plus de garanties, sans aucune sollicitation du pays, c’est tout simplement avoir l’air de changer pour changer, et cacher sous de grands mots, sous une apparence de progrès, un sentiment inavoué de malaise et d’instabilité ? Que le scrutin de liste soit bon ou mauvais en lui-même, il ramène pour le moment là mobilité dans les lois fondamentales et il risque fort de n’être pas un remède à tous les maux, comme on le suppose complaisamment.