Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépourvue d’ostentation, faisait un contraste singulier avec la messe catholique qui se célébrait à quelques pas. Le patriarche latin est couvert des plus riches ornemens ; sa crosse, don de Louis XIII, est une œuvre d’art du goût le plus brillant ; ses vêtemens, qu’on change cinq ou six fois durant le même office, sont garnis d’or et de pierreries ; ses mitres reluisent d’émeraudes et de diamans. Le patriarche copte n’a qu’un turban de laine sur la tête et qu’une lourde chasuble sur les épaules. Je puis attester de visu qu’il lave fortement ses mains jaunâtres et que son pied est leste. Quant à dire si sa messe vaut mieux que l’autre, c’est le secret de Dieu !

Quelques personnes admirent beaucoup cette cacophonie de cérémonies et de communautés qui éclate sous les voûtes du saint sépulcre. ; elles y voient une image fidèle de la diversité et en même temps de l’unité supérieure du christianisme, qui a enfermé sous un symbole unique tant de dogmes différens, appropriés au génie de chaque peuple de la terre. Il est certain que la fécondité de l’œuvre de Jésus est sensible aux yeux dans cette étrange église où vingt sectes célèbrent de vingt manières le même culte, s’inclinent devant le même Dieu, s’animent des mêmes espérances et brûlent du même amour. Le pope grec, le moine franciscain, le prêtre arménien, copte, abyssin, syrien, etc., se croisent, se touchent et malheureusement se heurtent dans un espace relativement bien restreint. Ils parlent tous des langues particulières, et cependant tous, sous des mots distincts, expriment une idée commune à peine défigurée par la variété des traductions. Toute la géographie du christianisme est là, réduite à des proportions qui permettent de l’embrasser d’un seul regard. Je comprends que cette manière d’envisager le Saint-Sépulcre excite chez certains esprits un grand enthousiasme ; mais l’avouerai-je ? c’est une impression différente que, malgré tous oies efforts, je n’ai cessé d’éprouver à Jérusalem. Les diverses formes du christianisme sont représentées au saint sépulcre par leurs côtés extérieurs, par leurs manifestations idolâtriques et païennes, par les détails qui choquent en elles et que certainement Jésus aurait repoussés avec indignation. L’évangile disparaît sous des doctrines de haine et de proscription qui rappellent bien plus l’ancienne loi que la nouvelle. Comment saisir l’harmonie divine du christianisme dans ce concert de notes discordantes dont les bruits disparates ne déchirent pas moins le cœur que les oreilles ? Je n’ai rien trouvé, pour mon compte, à Jérusalem, qui me rappelât l’évangile, — rien, si ce n’est le pharisaïsme que Jésus combattait avec une si noble colère, qui fleurit encore là où il le combattait, et qui est sans doute tellement naturel à l’humanité, qu’il ne disparaîtra qu’avec elle de la surface tourmentée de ce monde.