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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/805

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Dans ce petit nombre faisons encore un choix. Élaguons l’Espoir en Dieu et la Lettre à Lamartine dont nous avons déjà indiqué le sentiment, et que d’ailleurs, contrairement à l’opinion générale, nous avouons ne goûter que modérément. Élaguons encore la pièce sur la Paresse comme étant une œuvre de demi-caractère, quelque chose d’intermédiaire entre la satire et l’épitre familière. Une Soirée perdue n’est qu’une gracieuse fantaisie où Musset a fondu de la manière la plus heureuse les manières des deux poètes qui, avant même Victor Hugo, ont été ses initiateurs en poésie, Mathurin Régnier et André Chénier. Des quatre Nuits, trois sont parfaitement belles. La Nuit de mai restera comme l’esquisse éloquente d’une poétique de la mélancolie, et la Nuit d’octobre, où le poète a exprimé le désir d’échapper à sa douleur, se termine par un serment d’oublier le passé qui est bien une des incantations les plus irrésistibles que la magie de la poésie ait jamais inventées ; n’en conservons cependant qu’une seule, la Nuit de décembre, qui est à notre avis la plus originale et comme sentiment et comme forme. Il nous restera ainsi quatre pièces, cette Nuit de décembre, Souvenir, les Stances à la Malibran et Après une lecture, qui sont la quintessence même de Musset lyrique et qui suffiront pour nous dire ce qui le distingue particulièrement dans cet ordre de poésie.

Qu’il y a de plus grands poètes lyriques que Musset, je ne le conteste pas ; ce qui est certain, c’est qu’il n’y en a pas qui soit aussi purement, lyrique, c’est-à-dire dont la poésie, soit, aussi absolument personnelle et nous rapproche davantage, de la source même du sentiment. Prenez par exemple la pièce intitulée Souvenir, et dites si vous ne surprenez pas là l’inspiration à son jaillissement même, la molécule lyrique à son apparition même et à sa première agitation. Comparez-la avec deux autres célèbres pièces lyriques où la tristesse propre aux choses passées a trouvé son expression. Rien pour le décor comme dans le Lac de Lamartine, aucune gradation savante de mélancolie comme dans la Tristesse d’Olympio. C’est le sentiment pur, nu comme la vérité lorsqu’elle s’échappe, hors de son puits, avant aucun revêtement, sans apprêt et presque sans souci de l’art, un jet de passion, sorti tout chaud du cœur. Si jamais pièce a mérité son nom, Souvenir, c’est bien celle-là. C’est le phénomène du souvenir en effet, et sous sa forme la plus complète, c’est-à-dire la résurrection, le retour momentané à la vie d’une chose passée, qu’elle nous présente. Cela est aigu comme le réveil des anciennes blessures que le soldat a rapportées de la guerre ; mieux encore, c’est, comme le choc, en retour même du coup de foudre qui frappa jadis le poète, et ce n’est pas une vaine image que ce tonnerre qu’il invoque aux dernières strophes. Un excentrique qui a eu souvent de rares bonheurs d’expression a dit un