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infirmité grave, les veuves ou femmes abandonnées qui, ayant déjà un enfant au-dessous de quatorze ans, sont enceintes ; enfin les personnes qui se trouvent dans les cas extraordinaires et imprévus.

Si je n’ai pas hésité, malgré ce qu’elle a d’aride, à reproduire cette nomenclature tirée d’un règlement administratif de 1879, c’est pour montrer combien les prévisions en sont minutieuses et étendues. L’idée qui a présidé à ce règlement (dont les dispositions principales sont, au reste, de date très ancienne), c’est qu’un individu ou un ménage valide doit pouvoir subvenir sur les seules ressources de son travail à ses besoins et à celui de deux enfans. En principe, la règle est juste ; mais en pratique, l’expérience a contraint de reconnaître qu’il se présente annuellement un certain nombre de demandes de secours auxquelles la fixité de cette règle ne permet pas de faire droit et qu’il y aurait cependant inhumanité à rejeter complètement. Pour faire face à ces demandes, l’administration s’est réservé sur le montant du crédit qui est annuellement alloué au service des secours à domicile une certaine somme qu’elle distribue directement, après enquête faite par ses visiteurs sur la situation de ceux qui s’adressent à elles. C’est cette seconde catégorie qui est désignée administrativement sous le nom de nécessiteux momentanément secourus. Le mot momentanément est-il bien exact ? Je ne le crois pas. Suivant une définition humoristique que j’ai recueillie de la bouche d’un haut fonctionnaire de l’assistance publique, les nécessiteux sont des aspirans à l’indigence. En réalité, ce ne sont pas des individus atteints à l’improviste d’une infortune à laquelle il faut venir en aide ; ce sont des indigens non moins misérables que les autres, qui ne fatiguent pas moins souvent la charité publique de leurs demandes. Il serait très intéressant d’établir parmi les cliens de la charité une distinction entre les indigens d’habitude et les indigens par accident. A vrai dire, l’art et le but de la charité devraient être d’empêcher l’indigent par accident de devenir un indigent d’habitude, de même que le but de la science pénitentiaire (puisque science aussi elle prétend être) devrait être de ne pas faire du criminel d’accident un criminel d’habitude. Mais si l’on voulait traduire cette distinction par des chiffres, il faudrait sans nul doute ranger les nécessiteux momentanément secourus dans la même catégorie que les indigens inscrits sur les contrôles des bureaux de bienfaisance. Le projet de budget de l’assistance publique évalue les premiers à 28,000 et les seconds à 120,000. Mais le dernier recensement de la population indigente qui va être bientôt publié en fixe le nombre à 123,735, ce qui porte à 151,000 en nombre rond le chiffre des indigens d’habitude qui sont secourus à Paris par la charité publique.

151,000 individus habituellement voués à l’indigence pour une