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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/841

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retrouverons et ils n’occupent plus guère qu’une ruelle étroite et malpropre, la rue Saint-Médard. Je serais embarrassé pour dire si cette population vit dans des conditions plus misérables que celle des ruelles avoisinant la Seine. Les maisons où elle demeure sont moins hautes ; partant elle reçoit dans ses taudis un peu plus d’air et de lumière. Mais généralement les chambres de ces maisons sont plus petites, et il est très rare que chaque appartement se compose de plus d’une seule pièce où la famille s’entasse comme elle peut. Quelques-unes de ces chambres sont situées de plain-pied avec le sol et ne reçoivent de lumière que par une porte vitrée dont les carreaux cassés sont souvent remplacés par de vieux journaux. On ne peut aérer la pièce qu’en tenant la porte ouverte, et, comme il n’y a pas de cheminée, c’est sur le pas de la porte qu’il faut faire la cuisine. Ces cavernes obscures, comme on en peut voir plusieurs dans une grande cour située rue Berthollet, se paient encore 150 francs par an. Pour avoir deux pièces il faut aller au-delà de 200 francs ; aussi pareil luxe y est-il fort rare. Et cependant, malgré les conditions déplorables de pauvreté, de promiscuité et de saleté où elle vit, cette population se présente avec un aspect relativement assez digne et décent. Lorsqu’on pénètre chez eux sous un prétexte quelconque, ils vous reçoivent généralement avec déférence, et vous témoignent leur reconnaissance de la patience avec laquelle vous écoutez l’histoire toujours longue de leurs malheurs. Lorsqu’ils se présentent à la mairie pour solliciter des secours ou à la consultation du bureau de bienfaisance, on voit qu’au lieu d’étaler leur misère sur eux, ils cherchent au contraire à la dissimuler. J’en ai vu un jour défiler un grand nombre dans cette maison de secours de la rue de l’Épée-de-Bois, où la sœur Rosalie plantait hardiment, il y a plus d’un demi-siècle, le drapeau de la charité et que le respect de sa mémoire n’a pas réussi a préserver complètement. Pour venir à la consultation du médecin, les hommes avaient quitté leurs vêtemens de travail, les femmes avaient mis leur robe la plus propre et leur bonnet le plus blanc. La plupart venaient demander des remèdes qui en réalité sont pour eux des petites douceurs, et qu’ils ajoutent à leur modeste ordinaire, de la tisane, un sirop quelconque pourvu qu’il fût sucré, et presque invariablement du vin de quinquina fort apprécié, non pour le quinquina, mais pour le vin. Le médecin accordait à l’un, refusait à l’autre, d’après sa connaissance personnelle de leur situation et de leurs besoins. Sur soixante-dix consultans, il n’y avait guère que vingt malades et bien cinquante mendians. Tout ce pauvre monde demandait humblement, remerciait de même, mais une fois sorti dans la rue, n’avait rien dans son aspect ni dans son allure qui le distinguât de la population demi-aisée du quartier. La vieille misère, habituée