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conservé, dans leurs jardins environnés de murailles, d’un blanc criard, des bosquets de lilas qui embaument l’air au. printemps. Lorsque, par une belle soirée, on voit du viaduc de la rue de Tolbiac le soleil s’abaisser derrière l’observatoire de Montsouris, dont le dôme rappelle la coupole d’une mosquée, et le clocher de Saint-Pierre du Petit-Montrouge se dessiner sur le ciel rougeâtre avec l’élégance d’un minaret, on a comme une illusion d’Orient dont la reproduction serait digne de tenter le pinceau d’un peintre. et vaudrait bien ces vues réalistes de marchés et de boulevards que nous offre chaque exposition. Peut-être est-ce un peu affaire d’imagination, mais pour ceux qui. sont courbés sous la dure loi de misère, la vie doit être, ce semble, moins dure dans ces masures éparses sur les pentes de la vallée de Bièvre que dans ces hautes maisons où nous avons pénétré tout à l’heure. N’est-ce pas pour eux une consolation que de jouir ainsi de l’air, de la lumière et de pouvoir, assis par un beau temps sur le pas de leur porte, se chauffer aux rayons du soleil de Dieu ?

Redescendons maintenant par le boulevard de la Gare, du côté du chemin de fer d’Orléans. A la hauteur de la place récemment baptisée du nom de place Pinel, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s’étend un vaste terrain qui est loué par bail emphytéotique à divers locataires. Sur une partie de ce terrain se sont élevées peu à peu les masures qui portent le nom de cité Doré, nom qui pourrait sembler une raillerie, et qui est tout simplement celui du locataire emphytéotique. Ces masures élevées sur trois rangs se composent d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage auquel on n’arrive souvent que par un escalier extérieur en bois, aux marches pourries. Elles sont occupées presque toutes par des familles de chiffonniers. Quelques-unes de ces familles, et c’est le plus petit nombre, demeurent au premier et entassent leurs chiffons au rez-de-chaussée ; mais la plupart de ces maisons sont occupées par deux familles, et c’est la chambre même qui sert de magasin, le père et la mère couchant dans un vieux bois de lit et les enfans sur les chiffons amoncelés. Les vieux os, les vieux chiffons, les détritus de toute sorte, exhalent par la fermentation une odeur aigre et douceâtre ; mais les habitans de ces pauvres intérieurs y sont devenus insensibles ; aussi la puanteur, la saleté, la dégradation au milieu de laquelle ils vivent défient-elles toute description. A qui sort de la cité Doré il peut sembler qu’il ne verra jamais rien qui soit au-dessous ; ce serait cependant une erreur. Parallèlement à cette cité et dans la direction du boulevard de l’Hôpital se trouve en effet un autre terrain vague qui ne recevait encore, il y a quelques années, que les dépôts de chiffons des habitans de la cité. Peu à peu ceux auxquels le prix trop élevé des loyers (environ 120 francs par an)