quelques observations de psychologie esthétique sans rigoureuse théorie, sans satire, avec le seul dessein de défendre contre une sorte d’épaississement de l’art et de la littérature les fins plaisirs de l’esprit.
S’il est un art qui semble en droit de ne représenter que la réalité sans rien y ajouter et de se contenter de formes et de couleurs, c’est assurément la peinture, puisque les couleurs et les formes sont le langage qui lui est propre. D’ailleurs l’imitation des choses est une habileté qui nous plaît, et tel objet que nous ne regardons pas dans la vie journalière nous amuse quand nous le voyons sur la toile. Néanmoins un tableau dont il ne se dégage pas une pensée, une impression morale quelconque, qui ne nous dit que ce qu’il nous montre, est une œuvre qui ne peut longtemps nous attacher. Sans doute s’il a des qualités techniques remarquables, il retiendra l’attention des peintres qui pourront y admirer la ferme correction, ou la difficulté vaincue, ou les heureuses témérités du pinceau, enfin toute la grammaire et la rhétorique de l’art ; et si les peintres ne peignaient que pour leurs confrères, un pareil tableau pourrait avoir le plus grand intérêt didactique, mars une fois ces qualités de la fine correction supposées (et ici, de peur de méprise, nous déclarons tout d’abord bien haut qu’on doit les supposer toujours, autrement il n’y a pas de tableau digne de ce nom), il faut encore que le tableau parle à notre intelligence et qu’il ne s’adresse pas seulement aux yeux. Les yeux ne sont que des instrumens de vision derrière lesquels se tient un esprit qui regarde au travers et qui veut se repaître, et s’il ne trouve pas d’aliment dans cette peinture, il ne tardera pas à diriger ailleurs ces instrumens dociles qui sont tout à son service. C’est l’esprit qui est le vrai maître, c’est lui qu’il faut contenter. Il importe donc que, dans un tableau, il y ait quelque chose qui offre une prise à l’esprit, une pensée, un sentiment, une intention, appelons cela un sujet. Je sais bien que sur ce point bien des artistes seront tentés de se récrier. Il en est qui professent hautement qu’en peinture un sujet est une infirmité, que le dessin et la couleur suffisent, qu’un tableau n’est pas un livre, et si vous leur objectez l’exemple des grands peintres, les belles compositions de Poussin, par exemple, ils décideront lestement que Poussin n’a jamais été qu’un littérateur. Mais quand ces artistes parlent ainsi et soutiennent avec feu leurs fantaisies systématiques, ne les croyons pas sur parole ; ils ne sont pas absolument sincères, en croyant l’être, car tout en déclamant contre les sujets, ils sont sans cesse en peine de s’en procurer, ils en demandent à leurs amis, ils battent les feuillets d’un livre pour en chercher, et s’ils s’en passent malgré eux, c’est qu’ils n’en ont pas trouvé un