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Baudeau, Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours, y virent une attaque directe et manifeste, au principe doctrinal de la libre exportation des grains ; — et si l’abbé Morellet, tout encyclopédiste qu’il fût, crut de voir entreprendre, malgré les adjurations de la secte et malgré les supplications de Galiani lui-même, une réfutation suivie des Dialogues, c’est qu’il y lut, très clairement écrite, en noir et en blanc, dans les lignes et entre les lignes, la dérision de toutes les idées à la défense desquelles il s’était voué.

Dérision spirituelle, d’ailleurs, et digne d’émouvoir la bile des économistes ! Le dialogue est faible en lui-même, et deux au moins des interlocuteurs, sur trois, quoique copiés d’après nature, manquent de caractère, à moins que c’en soit un que de n’en pas avoir. Il n’y a que le chevalier Zanobi qui garde quelque souvenir de la pétulance et de la vivacité de Galiani. Mais on y rencontre de fort jolies choses, de fines distinctions, des comparaisons ingénieuses. Ce que j’y trouve de plus remarquable, c’est la méthode, une méthode de circonduction, pour ainsi dire, qui, de détour en détour, et de traverse en traverse, amène insensiblement le lecteur à la conclusion. Je dis une méthode et non pas un procédé. C’est qu’en effet Galiani ne se contente pas de l’application, mais il tient le principe. Le voici tel qu’il le donne lui-même : « Une vérité que le pur hasard fait naître comme un champignon dans un pré n’est bonne à rien. On ne la sait pas employer, si on ne sait d’où elle vient, comment et de quelle chaîne de raisonnemens elle dérive. Une vérité hors de sa ligne est aussi nuisible que l’erreur. » On pourrait mieux dire, et ce style, encore que retouché par Grimm, par Diderot, et jusque par Mme d’Epinay, ne laisse pas de sentir l’étranger, mais l’observation n’en conserve pas moins tout son prix. Elle va plus profondément qu’on ne pense. C’est le parti que l’auteur en tire à l’application, avec une rare dextérité, qui permet de lire encore aujourd’hui les Dialogues sur le commerce des blés, de les lire avec plaisir, et non pas même sans profit.

On comprend maintenant pourquoi les encyclopédistes accueillirent d’un cri de triomphe l’apparition du livre, ou plutôt on peut croire qu’ils avaient eux-mêmes provoqué l’auteur à l’écrire.

Il ne serait pas difficile de reconstituer la scène. Un jour de 1768, chez le baron d’Holbach, en causant de choses et d’autres, la conversation sera tombée sur la disette. Habitués que nous sommes de notre temps, par un long usage, à la sécurité du lendemain, nous ne nous rendons pas compte assez exactement des inquiétudes que, sous l’ancien régime, les menaces de disettes ramenaient presque périodiquement. Rien de plus naturel donc chez le baron d’Holbach, ou ailleurs, qu’une telle conversation. Morellet, homme à principes,