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Kampos ; ils y viennent passer la saison des grandes chaleurs, qui, dit-on, sont moins accablantes à Chio que dans toute autre contrée du littoral asiatique.

Les autres parties de l’île de Chio, qui n’ont point le riant aspect du Kampos, ne sont ni moins riches ni moins bien cultivées. Au nord de l’île, dominée dans cette région par le mont Elie, les montagnes hautes et escarpées ne souffrent pas de végétation à leur cime. Mais les pentes basses et les vallons sont couverts de blés, de vignes, de mûriers, de cotonniers, d’oliviers. Aussi loin que porte la vue, pas un pouce de terrain qui ne soit cultivé, pas une ravine où ne poussent des arbres productifs, pas une côte où ne coure la vigne. Contrairement aux autres Grecs, les Chiotes aiment l’agriculture ; ses durs labeurs ne les rebutent pas. Si l’île est devenue fertile, c’est par les efforts constans des générations. Imagine-t-on que les Chiotes ont taillé en gradins les pentes raides des montagnes et qu’ils ont amassé sur ces degrés la mince couche de terre végétale qui tapissait le granit ? La vigne, l’olivier, le blé garnissent ces espèces d’escaliers labourés à la main, à grande fatigue. Dans les vallons et sur les versans, les Chiotes labourent avec des bœufs ; dans les plantations de coton, ils donnent trois labours successifs. Chio fut toujours renommée pour ses nombreuses sources. Ces sources, les Chiotes ont été les chercher dans les entrailles de la terre, taillant le granit, perçant le roc à de grandes profondeurs pour faciliter le passage des eaux.

Le sud de l’île, bien que d’une nature moins escarpée, est plus rebelle à la culture. Le sol pierreux se prête mal à la plupart des ensemencemens ; en maint endroit, il est tout à fait infertile. C’est cependant de cette terre, qui paraît déshéritée, que l’île tire ses plus beaux revenus. Ces touffes de broussailles, hautes de quatre à six pieds, aux rameaux noueux, aux feuilles vert foncé, sont des arbres magiques. Ailleurs, ces arbustes sont de vulgaires lentisques ; là ce sont des arbres à mastic. Dans les autres îles situées sous les mêmes latitudes, ayant le même sol, brûlées par le même soleil, rafraîchies par les mêmes brises, les lentisques ne distillent pas de gomme[1]. Les Chiotes attribuent ce phénomène à un miracle. Saint Isidore a souffert le martyre à Chio, c’est de son sang qu’est né l’arbre à mastic. Il faut croire que saint Isidore a été martyrisé au sud de l’île, car on a eu beau transplanter des lentisques dans la partie nord de Chio, ces arbustes n’ont rien produit. Au reste, les auteurs anciens parlent du mastic de Chio, mais

  1. En Afrique et en Arabie, il y a quelques arbres à mastic qui produisent une gomme de qualité très inférieure.