Il y a des proportions plus effrayantes : Séminia, qui n’avait que 60 habitans, a eu 40 tués et 12 blessés. A Kalamissia, on annonce 400 morts, à Tholopotamos 200, à Thyraiana 300. On évalue les blessés des villages à 4,000, les morts à 3,160 ; dans la ville, il y a 6,000 blessés et 4,850 tués, ainsi le nombre total des victimes de toute l’île atteint au chiffre énorme de 18,000. C’est à peu près le quart de la population.
Ce tremblement de terre marquera-t-il la fin de l’histoire de Chio ? Le 3 avril 1881 sera-t-il le dernier jour d’une cité célèbre qui compte plus de trois mille ans d’existence ? On a de telles craintes en Orient et à Chio même. On dit que, les villages à mastic détruits et la ville ruinée, le reste de l’île ne pourra que végéter. Nous croyons fermement qu’il n’en sera pas ainsi. La terre, qui est la nourricière des Chiotes, la terre, qui est leur richesse, existe toujours. Or on reconstruit des maisons, on ne refait pas la terre. Les Turcs du sultan Mahmoud furent un fléau tout autrement terrible que le tremblement de terre de cette année. Ils détruisirent avec méthode, ils saccagèrent avec science, ils dévastèrent avec art. Si un plus grand nombre de maisons échappa à la ruine, grâce aux Turcs qui les habitaient, toutes les vignes, toutes les plantations, tous les champs furent ravagés. Il ne resta dans l’île que neuf cents hommes. Les autres survivans du massacre, esclaves et exilés, durent attendre plusieurs années pour y revenir. Et cependant, moins de quinze ans après ce désastre, Lamartine pouvait écrire : « Je ne connais rien en Europe qui présente l’aspect d’une plus grande richesse que Scio. » — C’est à croire que, par grâce d’état, quoi qu’il arrive, les Chiotes sont toujours riches. — La situation n’est plus celle de 1822. Les Chiotes ne sont pas forcés de s’expatrier ; ils trouvent partout appui et secours. Des souscriptions ouvertes à Constantinople, à Athènes, à Marseille, à Londres, à Trieste, une fête donnée à Paris, leur ont déjà rapporté plus de 2 millions ; dans leurs plantations et leurs champs intacts, la récolte s’annonce déjà. Dès demain, ils peuvent se remettre au travail. Ils n’y failliront pas. Certainement bien des années passeront avant que l’île ait recouvré sa prospérité passée. Mais Chio se relèvera des ravages du tremblement de terre puisqu’elle s’est bien relevée des ravages des Turcs.
HENRY HOUSSAYE.