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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/111

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grand’mère m’accompagnèrent ; elles étaient en deuil, car je venais de perdre mon aïeule paternelle. On était en récréation lorsque j’arrivai au collège ; je fus présenté au proviseur ; tête blonde, intelligente et hautaine, regard froid derrière des lunettes en écaille ; l’entrevue fut courte et sèche : « Vous entrerez en neuvième ; Vous ne sortirez que tous les quinze jours, à moins que vous ne soyez le premier ! » — Le proviseur sonna ; un garçon parut : « Conduisez cet élève au vestiaire. » On me fit endosser une sorte de costume d’invalide qui avait déjà servi : habit à larges basques, pantalons à grand pont, gilet droit, souliers avachis ; le tout fut marqué de mon numéro matricule : 499. Lorsque je revins au parloir, ma grand’mère s’écria : « Quelle horreur ! »

Un roulement de tambour annonça la fin de la récréation ; les élèves rentrèrent au quartier. L’heure de la séparation était venue ; mes efforts accumulés depuis le matin s’effondrèrent tout à coup et j’éclatai en larmes. Je saisis ma mère à bras-le-corps : « Ne me laisse pas ici, emmène-moi ; garde-moi à la maison avec un précepteur ; qu’est-ce qui peut s’y opposer, ne suis-je pas l’on seul enfant ? » — Ma grand’mère s’était détournée et sanglotait. Ma mère tenait bon, mais à son menton crispé, je pouvais deviner le combat qui se livrait en elle. Elle me parla, elle me raisonna. « Il faut être un homme et savoir regarder la vie face à face. » J’essayai de me contenir ; à l’accent voulu et comme raidi de ma mère, je venais de comprendre que toute prière serait inutile. On avait désiré voir le dortoir où je devais coucher, le quartier où j’aurais à prendre place. Le maître d’étude vint nous recevoir ; c’était un doux étudiant endroit nommé Schœffer ; ma grand’mère lui dit : « Nous vous le recommandons, monsieur, c’est un fils unique et son père est mort. » Je me jetai au cou de ma mère, répétant : « Je t’en prie ! je t’en prie ! » M. Schœffer me prit par le bras, m’entraîna, ferma la porte, et je me trouvai au milieu d’une trentaine de camarades qui riaient de mon désespoir. Aussitôt assis, je comptai sur mes doigts : neuvième, huitième, septième et ainsi de suite jusqu’à la philosophie : dix ans !

Ulric Guttinguer, celui-là même à qui Alfred de Musset a dédié un de ses plus beaux sonnets, a chanté :


Quel heureux temps que le collège !


Grand bien lui fasse ! j’y suis resté pendant neuf années, et pendant neuf années j’y ai souffert. Ma vie n’a point été différente de celle des autres hommes ; j’ai eu mes chagrins, mes déceptions, mes affres, et souvent j’ai porté plus que mon faix ; mais le regret du