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quelque chose. — Je ne parle pas de certains professeurs éminens, M. Sédillot, M. Egger, M. Adolphe Régnier, qui étaient aimés de tous et ne punissaient jamais.

Les directeurs de notre enfance, proviseurs, censeurs et maîtres d’étude ne paraissaient pas avoir une grande confiance dans les moyens de coercition dont ils abusaient, car une précaution était prise contre toute tentative de révolte. À cette époque, le gaz était à peine utilisé pour l’éclairage des rues ; nos classes et nos dortoirs étaient seuls munis de quinquets ; dans nos quartiers, dès que la nuit approchait, on allumait les chandelles, qu’un élève désigné était chargé de moucher de dix minutes en dix minutes. On n’y voyait goutte et nous profitions souvent de cette demi-obscurité pour dormir au lieu de travailler ; mais au-dessus du maître d’étude, et éclairant toute la salle, il y avait un quinquet fixé à la muraille et entouré d’un grillage de fer, afin que l’on ne pût le briser à coups de dictionnaires. C’était le quinquet de révolte. Toute lumière éteinte, celle-ci restait brillante et eût permis de reconnaître les coupables. La révolte ! c’était le rêve de plus d’un d’entre nous. Il n’y en eut pas de mon temps, et c’est fort heureux, car j’y aurais été redoutable. Je crois que cet esprit d’insurrection, qui était en moi et que je partageais avec beaucoup de mes camarades, laisse intactes les bonnes qualités et ne permet pas de préjuger de l’avenir. Je dis ceci pour les parens qui se lamentent lorsque leurs enfans sont punis et qui leur montrent l’échafaud en perspective. Je puis citer trois élèves du collège Louis-le-Grand, qui tous les trois ont été renvoyés pour cause d’indiscipline. Le premier, qu’une certaine mollesse plus apparente que réelle avait fait surnommer Sybarite-Madelon, a été un des héros, un des mieux méritans de la charge des cuirassiers à Reischofen. Il est actuellement un de nos meilleurs généraux de cavalerie. Le second est un des savans dont s’honore la France ; il a dirigé des expéditions scientifiques qui ont porté haut son nom ; lorsqu’il parle, l’Académie des sciences se tait pour l’écouter. Le troisième a eu de plus humbles destinées ; mais j’étonnerais bien ses anciens maîtres si je leur disais qu’il est de l’Académie française. Est-ce à dire pour cela que l’on ne parvient à quelque chose dans la vie qu’à la condition d’avoir été un mauvais écolier ? A Dieu ne plaise que je proclame une telle hérésie ! mais on peut affirmer que toute individualité remuante, tapageuse, soulevée contre les abus de pouvoir et secouant le joug d’une discipline ridiculement inflexible, fait preuve d’une force de résistance qui trouvera plus tard son emploi dans les luttes de la vie et dans la persévérance vers un but entrevu. J’ajouterai que quiconque ne sait pas ou ne peut pas compléter lui-même son instruction ne