thermomètre de l’ingénieur Chevallier ? » — Puis ils reprirent leur rang et partirent : « Une, deux ! une, deux ! le choléra ! le choléra ! » Le lendemain au collège, pendant la première récréation, je me hâtai d’initier mes camarades à ce genre de promenade, que je dirigeai moi-même ; cela ne fut pas du goût d’un maître d’étude, qui m’envoya terminer la journée chez Rouillon. — Longtemps après j’ai su ce que signifiait ce défilé baroque qui traversait Paris à la stupéfaction des passans. Cela s’appelait la grande chevauchée de la côtelette aux cornichons et avait été inventé par Burette. On partait de la rue Pigalle et l’on s’en allait ainsi, le dimanche, pendant les beaux jours d’été, jusqu’à Saint-Mandé, où l’on déjeunait chez un charcutier qui vendait de bonnes côtelettes de porc frais. C’était bruyant, inoffensif et bête, mais cela divertissait des désœuvrés qui ne savaient qu’imaginer pour se singulariser et qui croyaient faire acte d’originalité en se livrant à ces médiocres extravagances. Plusieurs groupes composés d’artistes, de gens de lettres, de petits boursiers, d’employés de ministère se réunissaient, se cotisaient pour manger et surtout boire ensemble ; ces groupes se distinguaient par des dénominations ridicules et parfois crapuleuses. Si, sur des tableaux de cette époque, on retrouve, à la suite de là signature du peintre, le chiffre 45 placé entre deux parenthèses, c’est que l’artiste a appartenu, — que le lecteur me pardonne, — à la société des Quarante-cinq jolis cochons, dont le président fut un des plus grands artistes de l’école romantique. Le vice-président de cette compagnie existe encore, c’est un peintre d’un rare talent. On buvait, on débitait toute sorte de sornettes, on cassait quelques carreaux dans les cabarets de la banlieue, on dansait dans les guinguettes, on rentrait à Paris en chantant quelques couplets grivois et l’on gagnait au pied lorsque l’on rencontrait une patrouille. Un de ces chefs d’orgie fut célèbre en son temps ; c’était un homme énorme, borgne, mystificateur intrépide, buveur expérimenté, chef de bureau au ministère de la marine et qui se nommait Billou. Henri Monnier, à la fois dessinateur, caricaturiste, acteur et homme de lettres, était de toutes ces parties ; il excellait à pousser ses compagnons à des sottises compromettantes ; il y dépensait les ressources d’un esprit diabolique et savait toujours s’esquiver lorsque la plaisanterie prenait une mauvaise tournure. Ces farces devenaient parfois tragiques, et les jeunes gens emportés par l’ardeur de leur tempérament, par l’émulation de sottises qui les avait saisis, en arrivaient à des actes coupables. La plupart de ces « compagnons de tout plaisir » fréquentaient une petite salle de spectacle aujourd’hui détruite et que l’on nommait la salle Chanteraine. C’était un théâtre d’amateurs, jadis fondé par un certain Doyen, méridional, grand admirateur de Talma, et où les
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