époques très récentes, de grandes divergences de vues et d’usages, et quand il passe à l’étranger, un Français ne saurait toujours transporter au dehors les conceptions juridiques, de sa patrie ou de son temps. On a beaucoup discuté sur l’origine du droit de propriété. Dans la difficulté de fonder la propriété terrienne uniquement sur le travail, comme Bastiat, ou sur un contrat tacite, comme Kant, on a souvent dit qu’elle était fondée sur la loi qui la consacre. Il serait plus juste peut-être de dire qu’en dehors de l’utilité sociale, elle a sa base dans la coutume et la conscience populaire. Chez nous et chez tous les peuples où la propriété est nettement définie et solidement établie, la loi et la coutume sont d’accord sur ce grave sujet ; mais il est des pays où il n’en est pas de même, où les potions du peuple et les maximes des jurisconsultes, où la loi écrite et les traditions orales sont en conflit plus ou moins flagrant. Or c’est en réalité l’affligeant spectacle qu’offre depuis longtemps l’Irlande, c’est là qu’il faut chercher l’explication et la justification des procédés à l’apparence révolutionnaire recommandés au parlement par M. Gladstone.
La raison de ce triste phénomène est, avant tout, dans l’histoire de l’Irlande, dans la manière dont la propriété s’y est formée, dans l’origine étrangère de la plupart des propriétaires, dans le souvenir d’une époque encore peu éloignée où la terre appartenait à d’autres mains et où la possession du sol était soumise à de tout autres règles. En faisant campagne contre la propriété foncière, et les landlords, les Irlandais de la landleague empruntent moins leurs armes aux idées révolutionnaires ou aux thèses socialistes du présent qu’aux réminiscences du passé et aux revendications de l’ancien droit et des anciennes coutumes. Sous ce rapport, les Parnell et les Dillon ne sont pas sans quelque lointaine analogie avec les Gracches. Dans leur guerre aux détenteurs actuels du sol, ils prétendent, eux aussi, combattre les usurpations successives des grands domaines et faire restituer au peuple ce qui n’a pu lui être légitimement enlevé.
Le paysan irlandais, en effet, n’a jamais entièrement reconnu la propriété conférée aux landlords de l’île sœur par les lois de la Grande-Bretagne. Le tenancier, l’occupier, en cela semblable l’ancien serf russe, a toujours persisté à s’attribuer sur le sol un droit imprescriptible. Par suite, il n’a jamais admis que le landlord pût élever indéfiniment le prix de la terre, ni expulser de leur champ les laboureurs incapables de payer leurs redevances. A cet égard, il s’est conservé dans le peuple une conception du droit de propriété fort différente de celle sanctionnée par les lois britanniques. Ces dernières lui ont paru d’autant plus odieuses qu’à ses yeux les droits par elles consacrés ne reposaient que sur la force et la