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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/185

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peinture est destinée à l’une des mairies de Paris ; et, grâce à sa coloration fraîche et brillante, bien que légèrement assourdie, elle y fera une décoration fort plaisante aux yeux.

Les ouvrages dont nous venons de parler et auxquels nous joindrons les panneaux de M. Mazerolle et surtout la charmante vision, l’évocation pleine de distinction idéale que M. Gazin appelle Souvenir de fête, ces ouvrages, disons-nous, sont ceux qui, par leur composition et par la clarté intentionnelle de leur coloris, représentent le mieux au Salon ce que l’on nomme la peinture décorative. Ils tendent plus ou moins à prendre l’aspect de la fresque ou de la tapisserie. Il y aurait beaucoup à dire sur cette expression de peinture décorative : elle semble consacrer plutôt une confusion qu’un compromis entre deux branches de l’art qui sont essentiellement distinctes. Il est bien reconnu que la peinture proprement dite et la décoration ont chacune un objet différent et qu’elles le réalisent par des moyens qui leur sont particuliers. La peinture, alors même qu’elle est appelée à orner un édifice, cherche à représenter la nature, et à figurer des réalités. Elle a recours à une imitation qui, bien que relative, n’en est pas moins sa raison d’être. Quant à l’art décoratif, il ne tend point à provoquer l’illusion. Il embellit les surfaces au moyen de formes conventionnelles et des couleurs les plus riches qu’il puisse assortir. Mais il ne porte ni les yeux ni l’esprit au-delà des parois qu’il couvre de ses brillans enduits. Faut-il croire que la peinture en devenant décorative doive sacrifier le sujet, la vérité et l’expression pour se borner à charmer les sens ? Nous ne le pensons pas. Mais puisque la dénomination de peinture décorative appliquée au grand art peut faire naître l’idée qu’en ornant il abdique, nous estimons qu’il vaudrait mieux la changer. Les expressions de peinture murale ou de peinture monumentale ne seraient-elles pas préférables ? Quoi qu’il en soit, au même rang se place la peinture d’histoire qui, étant indépendante d’un ensemble, a plus de liberté et de ressources. Cet art, pris dans l’acception que nos devanciers lui ont donnée, ne jouit plus du même crédit qu’autrefois. Mais il est toujours l’objet préféré des artistes qui ont traversé l’école de Rome. Il a été pour eux dans leur jeunesse un exercice dont ils ont profité, comme le fait cette année M. Comerre avec sa grande toile de Samson et Dalila, pour montrer leurs bonnes études, et pendant toute leur vie ils y reviennent avec prédilection.

M. Bouguereau est de tous nos peintres celui qui cultive ce genre avec le plus de constance, et il y a trouvé de beaux succès. Chaque année, il expose au moins un tableau dans lequel il traite un sujet de sainteté ou de mythologie. La sûreté et l’agrément de son talent ne laissent le public indifférent à aucune de ses productions.