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toujours avec sympathie le blanc cortège de femmes qu’il affectionne et les vestales qui entretiennent son imagination. Le Dernier Jour d’Herculanum est encore une œuvre pleine de goût. La terreur que peut inspirer le sujet est fort amoindrie, et cependant ce groupe de jeunes prêtresses qui ont fui devant le fléau en emportant leurs idoles est touchant. De la colline où elles ont cherché un asile, elles jettent sur les ruines de leur patrie un regard désolé. Celle-ci tombe évanouie, celle-là se voile la tète, une autre crie au ciel. C’est une convention, mais elle est pleine de distinction et d’élégance, et personne ne se plaint si le drame du Vésuve devient une élégie.

En représentant la Rencontre de Dante avec Matilda, M. Maignan nous a montré par un nouveau côté la Divine Comédie. Les peintres et les sculpteurs se sont toujours inspirés de l’Enfer : ils semblent ne s’être pas encore rendu compte des beautés du Purgatoire et du Paradis. Cependant si l’Enfer est le poème de la justice, le Purgatoire est bien le poème de l’amour. Aussi Dante l’a-t-il orné des plus charmantes images de la vie ; aussi y a-t-il placé avec complaisance les artistes, les poètes, les preux chevaliers. Les scènes les plus délicates et les plus touchantes s’y succèdent au milieu des plus suaves tableaux de la nature, témoin ce XXVIIIe chant dont M. Maignan a tiré son sujet. Qu’on le relise, qu’on respire la fraîcheur de son printemps mystique et qu’on dise s’il est un poème qui soit plus près d’être une véritable peinture ; Comme aspect tout au moins, le tableau de M. Maignan n’est pas au-dessous de l’idéal qu’éveillent les vers de Dante, et de plus le peintre a tiré son inspiration d’une source à laquelle les esprits délicats ne manqueront pas de s’adresser après lui. M. Ferrier se tient dans les mêmes colorations brillantes, mais avec un sujet d’une autre signification. C’est aussi un Printemps, mais un printemps tout terrestre. Un chœur de jeunes filles portant des fleurs passe en chantant devant un pauvre vieillard qui le regarde comme on fait d’un rêve ou d’un lointain souvenir. Cette toile a de l’éclat, et l’exécution en est très habile.

On s’est beaucoup occupé, il y a quelque temps, d’une peinture de M. Bastien-Lepage, qu’on disait rentrer dans la manière de Holbein. S’il en était ainsi, ce n’était assurément de la part de l’artiste qu’une fantaisie ; car nul moins que lui n’a besoin d’imiter. Qu’on se rappelle le portrait de son père exposé en 1877 : le visage, et surtout le front et les yeux étaient dignes des maîtres. Le caractère de la tête avait été saisi avec une sûreté dont on sentait qu’on pouvait juger sans cependant connaître le modèle. Aucune des intentions de la nature qui n’eût été parfaitement comprise et rendue. La vérité dégagée par une intelligence des plus pénétrantes et fixée par une main extrêmement habile frappait les yeux et