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l’Industrie n’ait contribué à modifier le caractère de la peinture française. Dès que ce vaste local fût affecté aux Salons annuels, on ne tarda pas à reconnaître qu’en négligeant de peindre effectivement les ombres, qu’en donnant à la couleur de trop faibles épaisseurs et qu’en usant trop largement des glacis et de l’huile on n’arrivait pas à former un corps suffisamment opaque pour résister au jour intense qui remplit les salles de l’exposition. On dut constater que les rayons de la lumière directe qui tombe des plafonds de verre traversaient la pâte, arrivaient à la toile, creusaient et dissolvaient l’œuvre, dont ils pénétraient la substance. De là un emploi plus abondant des couleurs et une pratique plus robuste du pinceau. Certes, il n’y aurait qu’à s’applaudir si les peintres, instruits par l’expérience, en étaient venus seulement à donner à leurs œuvres plus de solidité et à les mettre à même d’affronter toutes sortes d’éclairages. Mais on tombe aisément dans l’excès de qualités reconnues nécessaires : aussi en est-on venu à se faire un système des empâtemens exagérés. On voit donc au Salon des tableaux qui sont préparés ou même exécutés au moyen d’applications énormes de couleurs, obtenues à l’aide du pinceau et aussi du couteau à palette. Empâter d’abord et peindre ensuite semble même une recette. Cela est peut-être fort habile, mais au fond il n’importe guère. Le procédé, lorsqu’il devient aussi sensible, distrait l’attention, et la curiosité qu’il excite se substitue à l’intérêt qu’il faudrait accorder à l’œuvre d’art : il devient le véritable sujet du tableau.

C’est dans le paysage et dans la nature morte que l’abus de la pratique est particulièrement sensible. Là, en effet, l’importance de ce que l’on nomme l’idée étant, bien à tort, considérée comme secondaire, l’artiste peut se croire autorisé à faire avant tout preuve de dextérité. Mais c’est toujours le même péril : la main se substitue à l’esprit.

En ce qui concerne les natures mortes et les fleurs, le maniement de la peinture touche aux extrêmes qu’il lui est donné d’atteindre ; à côté d’ouvrages sommairement brossés ou qui ne procèdent que par la pâte, il en est d’autres qui sont d’un fini parfait. Dans un mode tempéré, M. Philippe Rousseau reste un maître : jamais son exécution n’a été plus large, son coloris plus riche et plus harmonieux que cette année. Mais M. Desgoffe a déjà, depuis longtemps, conquis une juste renommée par son faire précieux. Il a exposé une toile de dimension moyenne dans laquelle il a placé une petite statue équestre en or et en argent avec son socle de marbre, et la partie supérieure d’une colonne ornée de bronze, qui leur sert de support. Quelques plis de tapisserie et une tenture en satin armorié complètent ce tableau d’une exécution achevée et qui