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émeut. Parfois enfin c’est l’artiste qui, sans le savoir, se découvre dans son œuvre, et M. Hébert, mieux que tout autre, nous l’apprend. Son portrait de Mme de D. est d’une extrême délicatesse. On le dit très ressemblant ; mais il porte avant tout une marque qui est sensible : celle d’un peintre charmant. Il en est de même d’une petite figure de sainte Agnès, où l’on croit voir une ressemblance. On ne sait ce qui vous attache le plus dans une œuvre de M. Hébert, de son sujet ou de lui-même. Mais c’est là un talent d’exception, dont les productions ont toujours quelque chose d’inattendu et qui procède de dons qui se dérobent à l’analyse. Il est des artistes qui sont en possession d’une exécution constante, que l’on attend et que l’on retrouve toujours telle qu’on la désire et telle qu’on la connaît. M. Cot acquiert de plus en plus cette sûreté qui fait les maîtres, et cette année, il a grand succès avec son charmant petit garçon, auquel il a donné pour épigraphe : Papa, je pose. Dans l’envoi de M. Delaunay, c’est à M. R. que nous donnons la préférence ; quant au peintre lui-même, il ne cesse de grandir, et son coloria-, sans perdre de sa distinction, nous semble gagner en vigueur. M. Humbert a deux portraits en pied qui sont tout à fait élégans. Celui d’une dame en costume de campagne est particulièrement agréable, et sans affectation d’aucune sorte il est bien en plein air. Il y a là, comme dans tout ce que fait M. Humbert, un travail de l’esprit. Mais les plus beaux ouvrages de ce genre sont ceux qui signés de M. Bonnat ou de M. Carolus Duran.

Ces deux artistes ont, comme un privilège, le don de bien dessiner une tête. On dirait que la forme en soit pour ainsi dire en puissance chez eux : car ils l’arrêtent du premier coup avec une juste observation de ce qui en constitue la structure et le caractère. Cette qualité rare et spéciale, ils l’ont en partage avec les maîtres. Il nous semble que jamais M. Carolus Durau n’a peint avec plus de largeur et de sûreté. Son Enfant vénitien est une fantaisie de coloriste dans laquelle il a fait jouer ensemble tous les rouges de la palette. Son autre toile est pleine d’autorité. Une dame blonde aux cheveux ondes, la tête couverte d’une mantille et entièrement vêtue de noir, arrête un regard réfléchi sur le spectateur. L’expression de la physionomie n’est pas ordinaire, et on s’arrête à l’interroger. Derrière le personnage tombe un rideau bleu de paon dont la partie supérieure seulement reçoit la lumière ; le bas du tableau réunit dans une riche harmonie les ombres de la robe et celles de la tenture. L’aspect est simple, puissant et sent le grand artiste.

Le portrait de Mme la comtesse P. par M. Bonnat est tout différent. La figure s’enlève généralement en valeur sur un fond clair. La beauté du visage est sérieuse, et le jour qui vient d’en haut