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l’oubli. M. Bertinot a exécuté, d’après le Christ en croix de Philippe de Champaigne, une estampe d’une belle tenue et dans laquelle les nus, en particulier, sont d’un faire magistral. Cette planche est destinée à la chalcographie. Ce n’est pas la fauté de l’habile graveur si le tableau de Champaigne est noir et si, malgré la belle disposition qu’il présente, il est en somme d’un effet médiocre. Le talent de M. Bertinot n’est pas en cause ; mais appliqué à reproduire un autre original, il se fût montré avec plus d’avantage. La Pietà de M. Bouguereau a trouvé dans M. Achille Jacquet un fidèle interprète, et le caractère même de la peinture est rendu avec un talent élégant. M. Jules Jacquet, de son côté, a traduit dans une gamme claire les muses Melpomène, Érato et Polymnie d’Eustache Lesueur. Ces deux artistes, avec M. Levasseur, qui a gravé avec beaucoup de finesse un Intérieur hollandais de Pieter de Hooch, représentent dignement l’école d’un maître illustre, M. Henriquel-Dupont. Dans un genre différent, mais également sévère, M. Haussoulier a reproduit, d’après Domenico Ghirlandajo, la Visitation qui est au musée du Louvre. Nous ne dirons pas que ces artistes manient le burin avec la même liberté que leurs prédécesseurs du XVIe siècle ni qu’ils rendent toujours un compte exact, soit des modelés, soit de la valeur des tons. Mais ils ont le respect de leur art, ils le connaissent ; ils sont attachés à ses formules et ils savent qu’elles ne peuvent être négligées sans qu’il cesse aussitôt d’être un art élevé. C’est là ce qui les retient dans une pratique un peu plus contrainte qu’on ne la veut aujourd’hui. Mais ils doivent à leurs études premières de connaître et d’aimer la forme ; et à cause de cela, ils représentent encore la force de notre école.

Les aquafortistes cherchent surtout l’effet ; ils sont vaillamment aux prises avec le noir et le blanc. Leur esprit d’entreprise est extrême et, dans son ensemble, leur exposition a quelque chose d’impromptu et de heurté. Nous ne parlons, bien entendu, qu’à un point de vue général : mais la majeure partie de leurs gravures manquent d’enveloppe et d’harmonie. Elles s’annoncent presque toujours par une tache noire qui les décompose et en détruit l’unité. Cependant les procédés deviennent de plus en plus variés : ils sont ingénieux, et l’on ne saurait dire qu’en s’occupant de la pratique, même avec excès, nos graveurs n’arrivent, en dernière analyse, qu’à compromettre l’avenir de l’art. Chaque trouvaille qu’ils font favorise ou favorisera quelque jour l’expression d’une nuance plus délicate et encore voilée du sentiment. En réalité, il y a entre eux une grande émulation, et le spectacle du champ d’expérience dans lequel ils s’exercent est bien fait pour nous intéresser.

Le prix d’honneur de la gravure a été décerné à M. Chauvel pour