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lois qui constituent l’esthétique géométrique et linéaire. C’est une partie de science et de pratique qui se démontre, qui s’apprend et qui, pour toutes les compositions, est un critérium d’ordre et d’harmonie. Si ces conditions sont enfreintes, le spectacle est perverti, la jouissance de l’esprit est troublée : tant il y a dans ce que nous nommons le beau, un élément qui vient d’une relation des objets extérieurs avec un besoin de nos yeux ! En même temps que nous regrettons de voir méconnaître ces principes, nous voudrions que l’étude de la nature entrât dans une autre voie. Quand on parle de cette étude, il semble qu’il ne s’agisse que de la forme. Les exercices académiques qui consistent à copier pendant des années le nu dans les ateliers accréditent une manière étroite d’envisager l’une des parties les plus essentielles de l’art. Mais le sentiment, lui aussi, est dans la nature. La joie et la douleur sont dans notre destinée ; les passions sont inséparables de notre vie, et, en somme, c’est à rendre des idées au moyen des formes les mieux appropriées à leur expression que doit consister le talent de l’artiste. La forme, uniquement traitée pour elle-même, si bien représentée qu’elle soit, ne constitue qu’un travail d’une faible portée. Beaucoup de jeunes gens semblent l’ignorer et se consacrent au culte des vérités inférieures. Mais le champ de la vérité est vaste, et on ne saurait bien dire où commence l’étude de la nature et où elle finit.

En nous occupant seulement des meilleurs ouvrages qui ont paru au Salon, nous n’avons pas insisté sur les défauts qu’on y remarque, défauts qu’on peut reprocher à tous, mais qui dans les ouvrages médiocres deviennent choquans. Il y aurait beaucoup à dire sur l’anatomie. Bien que cette science soit étudiée avec plus de fruit, grâce à l’excellent enseignement qui en est donné à l’École des beaux-arts, elle demanderait à être comprise, surtout par les sculpteurs, d’une manière plus conforme aux règles de leur art. En petit, l’imitation servile de la nature peut être acceptée par les modernes. Les anciens étaient absolument dans un sentiment contraire, et les moindres figures de marbre et de bronze sont traitées par eux dans le même style que les colosses. Quand on arrive à la proportion ordinaire, un naturalisme trop scrupuleux donne l’idée d’un moulage. Mais quand l’artiste aborde une dimension supérieure à la réalité, l’infirmité du système se trahit : l’œuvre devient sans force et sans dignité. La sculpture n’est point un vain mot imaginé pour masquer un travail mécanique qui serait destiné à faire entrer les formes vivantes dans une matière inerte. Que dire de la perspective, dont les règles sont presque partout violées ? Les peintres ne daignent point l’étudier. Ils ne s’imaginent pas quel tort ils font à leurs ouvrages, en y introduisant, en y laissant subsister des fautes dont