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d’épouser les veuves qu’on a faites soi-même ; » et Gérard dit à la duchesse : « Ils ont interdit au meurtrier d’un homme d’épouser sa veuve. » — « La main de Dieu est dans tout ceci, » déclare le baron ; et le moraliste Rémonin, en apprenant la mort de Septmonts, s’écrie : « Les dieux sont arrivés ! » Eh bien ! qui donc s’aviserait de faire à M. Dumas fils un crime de cette similitude qui s’avoue ? Il n’est pas couvert seulement par cet article du code pénal, qui déclare que les soustractions commises par des enfans au préjudice de leurs pères ou mères ne pourront donner lieu qu’à des réparations civiles. Il n’a même pas à arguer que son père était mort quand parut l’Etrangère, et qu’il avait trouvé cette situation, parmi bien d’autres, dans l’héritage. Non ; les situations appartiennent à qui les prend, ou du moins à qui les occupe, ainsi qu’un sol libre, à condition d’y bâtir. Si l’édifice est original, le public se tient content ; il maintient au constructeur la possession du terrain jusqu’au jour où se présente l’auteur d’un plus beau projet. Le terrain alors est adjugé à celui-ci, qui devra peut-être à son tour le céder à un autre. M. Dumas fils a l’usufruit de la situation que nous venons de voir, en attendant qu’un autre en tire meilleur parti ; elle est à lui sans conteste et n’est plus à son père ; et il n’aura garde de se plaindre s’il arrive un jour qu’un tiers auteur la lui réclame. L’Étrangère diffère-t-elle de Madame de Chamblay ? Oui, sans doute, puisque l’Étrangère, comme vous savez, est un drame symbolique, puisque le fils a mis un levain mystique dans ce moule où le père se contentait de verser de la pâte humaine. L’Étrangère, d’ailleurs, a réussi plus brillamment que Madame de Chamblay. Cela nous suffit : l’affaire est instruite, l’ordonnance de non-lieu est rendue ; le inouïe, jusqu’à nouvel ordre, est réputé appartenir à l’inventeur de la pâte brevetée le plus récemment, et qui a eu le plus de vogue : — c’est aux gens d’esprit de ne pas perdre leur temps à se creuser la tête pour inventer des moules.

Avant de finir, puisque nous parlons de Dumas père, disons qu’à la Comédie-Française Mlle Bartet a débuté dans le rôle de Mlle de Belle-Isle et M. Volny dans celui du chevalier d’Aubigny. Mlle Bartet, comme d’habitude, a été bien servie par ses nerfs ; à l’encontre de plusieurs de ses camarades, elle doit prendre garde à ralentir et à nuancer davantage sa diction. De nuances, à présent, il ne faut pas parler à M. Volny ; nous attendrons, pour le reconnaître, qu’il ait perdu les mauvaises habitudes qu’il a prises à la Gaîté, qu’il ait replacé sa voix de la gorge dans la poitrine et qu’il ait repris le gouvernement de sa pensée : un jeune artiste, en 1881, ne joue pas impunément le fils de Lucrèce Borgia. Enfin ne quittons pas la Comédie-Française sans noter l’à-propos par lequel M. Paul Delair nous a rappelé, le 6 juin, que la maison de Molière est aussi parfois la maison de Corneille. Ce jour-là, jour anniversaire de la naissance du poète, M. Perrin nous a offert Horace