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tant il est vrai que l’idée absolue du Dieu unique doit absorber toutes les pensées et présider même aux actes les plus insignifians de la vie !

Les seules grandes civilisations antiques ont été des civilisations polythéistes ; l’Égypte, la Grèce, la Chaldée, etc., ont trouvé dans le paganisme les élémens d’un prodigieux développement scientifique et politique. Sortie de la Chaldée, la race hébraïque aurait pu jouer un rôle historique aussi brillant que celui des nations auxquelles elle était liée par les origines et par la communauté des traditions ; mais, tout son effort s’étant porté sur une conception religieuse dont elle a eu la première la gloire de montrer la grandeur théorique et la stérilité pratique, c’est à peine si elle a joui de quelques jours d’éclat passager précédés et suivis d’une décadence irrémédiable. Les œuvres lyriques qu’elle a produites sont merveilleuses ; mais il ne lui a pas été possible de produire autre chose. Il est permis à un peuple monothéiste d’exalter la grandeur inaccessible de Dieu ; il ne saurait chercher à décomposer cette grandeur pour la comprendre et pour l’expliquer. De là l’étroitesse du milieu intellectuel dans lequel il reste enfermé. Si le christianisme n’avait été, comme l’islamisme, qu’une suite logique de la religion d’Israël, il est probable que ses destinées auraient été aussi malheureuses que celles des deux religions strictement monothéistes de l’humanité. Mais en sortant de la Judée pour pénétrer dans le monde occidental, il s’est imprégné d’hellénisme, il s’est chargé de dogmes et de conceptions métaphysiques, il s’est même couvert de légendes à demi païennes qui ont fait de lui une sorte de compromis et de trait d’union entre le polythéisme antique et le monothéisme juif. On a souvent remarqué qu’en art, en philosophie, en politique, la perfection résulte de l’accord des tendances opposées et des écoles diverses qui arrivent, en se réunissant tout à coup, à une harmonie supérieure dans laquelle se fondent les contraires. Il en est de même en religion. Si le christianisme est la forme supérieure des sentimens religieux de notre espèce, si le monde n’a jamais connu et ne connaîtra probablement jamais de conception divine plus admirable et plus complète, c’est qu’il résume et condense en lui les aspirations monothéistes des races sémitiques et les besoins scientifiquement païens des races aryennes. Le mont Moriah n’est donc pas ce qu’il y a de plus grand à Jérusalem ; le saint sépulcre, si on pouvait y croire, mériterait d’inspirer une émotion respectueuse à laquelle la mosquée d’Omar n’a pas droit, malgré sa charmante architecture et le souvenir de Jéhovah qui plane toujours sur elle.