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LA
MORALE LAIQUE

LA MORALE ÉVOLUTIONNISTE DE M. HERBERT SPENCER.

La conception d’une morale naturelle, sans caractère sacerdotal, est née avec le premier éveil de la pensée philosophique. Celui qui le premier a commencé à réfléchir sur le monde et sur lui-même, a réfléchi nécessairement sur le bien et le mal ; il a interrogé sa conscience, il a cherché à se rendre compte des devoirs qui lui étaient imposés au nom d’une autorité extérieure. Les plus anciens monumens de la sagesse humaine sont des préceptes ou des principes de morale, conservés par la tradition, recueillis par la poésie, fixés sur la pierre sous la forme de sentences, d’allégories ou d’apologues. Les législations primitives se sont approprié ces principes et ces préceptes ; les systèmes philosophiques les ont rassemblés en corps de doctrines ; les religions elles-mêmes les ont vus se produire sans jalousie et leur ont donné place dans leurs enseignemens. Les religions les plus éclairées acceptent et proclament la distinction de la morale naturelle et de la morale théologique. Si elles se font juges de la première, au nom des lumières supérieures qu’elles s’attribuent, elles n’hésitent pas à lui faire appel, à la prendre en quelque sorte pour arbitre dans leurs querelles avec leurs adversaires. C’est sur le terrain de la morale que la raison et la foi ont toujours eu le moins de peine à se mettre d’accord. Il y a pour tous les hommes d’une même civilisation un fonds d’idées morales universellement respecté, qu’aucune philosophie, aucune législation, aucune religion