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points faibles, à la lumière de leurs critiques, mais pour nous approprier la part de vérité et d’idées utiles sans laquelle aucun système n’aurait pu exercer une sérieuse influence. C’est ainsi que l’idée de l’évolution, bien comprise, nous paraît une conquête heureuse pour les sciences morales, comme pour les sciences de la nature.

La morale spiritualiste a aussi beaucoup à gagner près de critiques indépendans, tels que M. Fouillée, qui se proposent de la transformer, non de la détruire. Les théories morales que M. Fouillée a exposées jusqu’à présent me paraissent, je l’avoue, moins propres à éclairer les intelligences qu’à leur donner je ne sais quel vertige métaphysique, et j’admire plus souvent, dans les objections qu’il n’épargne à aucune doctrine contemporaine, une subtilité ingénieuse qu’une véritable pénétration. Il voit juste cependant sur plus d’un point et il apporte dans ses discussions les plus subtiles de telles ressources de pensée et de style que le commerce d’un esprit de cette valeur est toujours éminemment profitable.

Enfin, la plus grande force, pour les doctrines spiritualistes, sera l’action qu’elles exerceront sur les âmes si elles savent mettre à profit, pour une propagande active et féconde, la situation privilégiée qu’elles gardent encore dans les institutions sociales, comme dans les idées et dans les mœurs. Puisqu’elles restent chargées de former au bien les jeunes générations, elles ne doivent négliger aucun effort pour élever les esprits, les cœurs, les caractères. Si le présent leur est disputé, que les luttes mêmes qu’elles soutiennent leur soient un stimulant pour s’assurer définitivement l’avenir. En maintenant et en fortifiant, dans la vie privée et dans la vie publique, le culte raisonné du devoir, elles auront bien mérité de la morale et de la société laïque elle-même[1].


Émile Beaussire.
  1. La thèse que nous avons soutenue dans cette étude vient d’être consacrée au sénat par une disposition législative dont la présentation et la défense font le plus grand honneur à l’initiative autorisée et à la merveilleuse éloquence de l’auteur du Devoir. Lors même que l’amendement de M. Jules Simon serait repoussé par l’autre chambre et serait finalement abandonné par le sénat lui-même, les nécessités morales auxquelles répond cet amendement conserveraient toute leur puissance auprès de l’Université, qui, par son conseil supérieur, est maîtresse de tous les programmes comme s’est plu à le reconnaître M. le ministre de l’instruction publique. Il ne s’agit pas ici d’une de ces questions spéculatives sur lesquelles la diversité des opinions est sans péril. On peut contester à l’état le droit d’instituer dans ses écoles un enseignement de la murale ; mais, du moment qu’il prend la responsabilité d’un tel enseignement, il n’a pas le droit de lui imposer pour objet une morale sans Dieu ; car ce serait une morale absolument vide de ce qui fait le fond même et l’essence de la moralité.