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suffisait ; le mieux pour eux était de trouver, à l’abri de quelque rocher, une plage d’échouage où ils pouvaient tirer sur le sable leur vaisseau, comme le font encore, après vingt siècles, les pêcheurs génois, provençaux et catalans, depuis La Spezzia jusqu’à Barcelone. L’itinéraire maritime de l’empire, qui donne très exactement la nomenclature des stations de la flotte romaine entre le port d’Ostie à l’embouchure du Tibre et celui d’Arles dans l’estuaire du Rhône, ne mentionne pas l’étang de Berre. En sortant du Lacydon, — c’était le nom du vieux port de Marseille, — les navires traversaient la rade, venaient toucher à Carry, Incarus positio, dont l’étymologie provençale caro, cairon, pierre calcaire, rappelle les carrières déjà exploitées du temps de Strabon, et d’où l’on extrait encore de si grandes masses de pierre de taille pour les constructions de la côte ; ils longeaient ensuite la falaise de l’Estaque et venaient s’abriter dans le havre de Dilis, qui occupe la place du petit port de Sainte-Croix, situé presque à la saillie du cap Couronne ; puis on traversait le golfe de Fos, on passait devant Bouc sans s’y arrêter, on venait mouiller dans le port des Fosses-Mariennes, au grau de Galéjon ; la dernière étape enfin était Arles, dans l’intérieur du grand fleuve.

Les géographes classiques, Pomponius Mela, Pline, Ptolémée, Festus Avienus, désignaient l’étang de Berre sous le nom de Mastromela stagnum. Quelques-uns ont même mentionné une ville du même nom, et il est bien possible que les ruines romaines, assez clair-semées, que l’on voit encore sur les rives de l’étang, marquent la place de la cité disparue. Tous les touristes connaissent la petite rivière de la Touloubre qui se jette dans cette mer intérieure, dont le lit est encaissé entre deux parois de rochers abrupts et que franchissait la voie Aurélienne au moyen d’un pont hardi, orné sur ses deux têtes d’arcs de triomphe d’un style élégant et d’une parfaite conservation. La petite vallée de la Touloubre, dont le nom ancien Cœnus, Καινός (Kainos), se retrouve au village de Lançon, l’ancien Lan-Cœnus du moyen âge, était jadis habitée par une peuplade d’origine grecque, les Cœnicenses. On a retrouvé leur monnaie. C’est une petite drachme, copiée sur les drachmes massaliotes, avec cette différence que le lion classique y est remplacé par le loup, d’un caractère beaucoup plus gaulois, et que la légende, en caractères grecs, porte à la place du nom des Marseillais celui de la tribu demi-barbare ΚΑΙΝΙΚΗΤΩΝ (KAINIKÊTÔN), habitans du Cœnus, et est accompagnée d’un monogramme très intéressant contenant tous les élémens du mot ΜΑΣΤΡΑΜΕΛΑ, Mastramela, qui était l’ancien nom de l’étang de Berre.

On retrouve aussi dans les géographes classiques le souvenir