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Avec ravissement dans un monceau pareil !
Tout cela, c’est à moi : les sphères et les mondes,
Danseront des milliers de valses et de rondes
Avant qu’un coup semblable ait lieu sous le soleil[1].


C’est fier, élancé, cadencé ; il y a le rythme et le grand souffle, Vous me direz peut-être que, s’il y avait aussi la rime, la chose n’en vaudrait que mieux ; je vous l’accorde, à une condition pourtant : vous me citerez, soit dans le passé, soit dans le présent, les poètes capables de vous satisfaire au double point de vue de la rime riche, richissime, et du magnum spirare, du mouvement dramatique et de la curiosité du style dans le dialogue, et tenez, ne cherchons pas et nommons tout de suite Victor Hugo, car il n’y en a qu’un ; ses drames en vers sont tous écrits d’un art non moins savant que celui qu’il met à ciseler une chanson de quelques strophes, et avec cela, toujours et partout la démarche étoffée, la grande envergure, la puissance. Son dialogue a l’aisance d’un conte de Voltaire, et quand vous y regardez, c’est du contrepoint, et à chaque pas des bonnes fortunes pour les amateurs : dans Marion Delorme, dans le Roi s’amuse et dans Ruy Blas, des bouffées de lyrisme, des trouvailles de dialogue, jusqu’à des mots d’esprit ; lui que ses drames en prose nous montrent au contraire lourd, englué, pataugeant comme un oiseau du ciel qui marcherait sur de la vase, a dans Hernani et les Burgraves des coups de clairon à la Corneille, et quels vers ! A ne les considérer que par le seul côté de la main-d’œuvre, cela ressemble à du travail forgé par Vulcain.


VI

Ici le lecteur nous arrête et nous somme de répondre à la question posée par nous au début de cette étude : Qu’est-ce que le romantisme ?

« Il se passe plus de choses entre le ciel et la terre que votre sagesse ne se l’imagine, Horatio ! »

  1. Dumas s’est-il souvenu de cette scène en écrivant la Princesse de Bagdad ? Et quand cela serait, qui le lui reprocherait ? « Ah ! c’est vrai, le fameux million ! le tentateur de l’heure présente, le tabernacle du veau d’or ! — Eh bien ! voyons-le… C’est vraiment beau comme tout ce qui à une force. Il y a là l’ambition, l’espérance, le rêve, l’honneur et le déshonneur, la perte et le salut de centaines, de millions de créatures peut-être ! » J’éprouve un certain plaisir à détacher de la Princesse de Bagdad cette fière apostrophe. Chute, tant qu’on voudra ; mais des chutes pareilles, il n’y on a que pour les forts. Tomber au théâtre n’est rien, la grande affaire est de ne point déchoir et l’impression générale qui se dégage de la Princesse de Bagdad comme de la Femme de Claude, — deux chutes enviables ! — est, en laissant d’ailleurs subsister les critiques, — une impression d’accroissement dans la puissance.