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une dépense accidentelle et extraordinaire pour la localité où elle s’exécute ; mais comme on exécute nécessairement tous les ans un certain nombre de rectifications semblables, le crédit destiné à y faire face représente une dépense permanente et doit figurer au budget ordinaire. » On est loin de se montrer aussi rigoureux aujourd’hui, et l’on donne au budget extraordinaire une élasticité alarmante pour le bon ordre de nos finances. Déjà le sénat vient de rayer du budget extraordinaire et de faire reporter au budget ordinaire un crédit de 16 millions demandé par le ministre de la marine, parce qu’il s’agissait d’une dépense normale qui n’avait point les caractères de celles auxquelles pourvoyait précédemment le compte de liquidation. Par un phénomène étrange, au moment où le ministère des travaux publics, prenant la place précédemment occupée par le ministère de la guerre, devient la source principale de dépenses, et où l’on devrait s’attendre à voir son budget présenter de notables accroissemens, on voit, au contraire, les crédits demandés pour ce département demeurer au-dessous des chiffres antérieurs et décroître graduellement de 30 ou 40 millions. L’étonnement cesse, il est vrai, lorsqu’après avoir comparé les budgets ordinaires de plusieurs années successives, on prend le budget extraordinaire et qu’on retrouve à ce budget les crédits dont la disparition ou l’affaiblissement avait frappé à la lecture du budget ordinaire. La dépense a été simplement transférée d’un des deux budgets à l’autre. Le ministre des finances dispose donc aujourd’hui de deux procédés pour équilibrer artificiellement le budget général : d’une part, il peut rejeter sur l’avenir, au moyen de renouvellemens, autant qu’il lui plaît des engagemens échus du trésor ; d’autre part, il peut transférer du budget ordinaire au budget extraordinaire et faire payer par l’emprunt autant de millions qu’il lui convient. Il est superflu de demander ce que peut devenir, avec d’aussi dangereuses facilités, la sincérité de nos budgets.

Le compte de liquidation n’ayant jamais possédé la dotation régulière que M. Thiers avait préparée pour lui, et son remplaçant actuel, le budget extraordinaire, n’étant également alimenté que par des emprunts successifs, il en résulte que la dette du pays a dû augmenter et qu’elle doit toujours aller en s’accroissant. Aussi est-ce avec une légitime incrédulité qu’on a accueilli l’assertion du rapporteur du budget de 1882 que la France, dans les quatre dernières années, avait amorti un milliard de la dette nationale ; les explications qu’on a données sur ces prétendus amortissemens ont complètement justifié cette incrédulité. Qui dit amortissement dit extinction définitive d’une dette en capital et en intérêts. L’Angleterre, qui a réduit le capital de sa dette de plusieurs milliards et qui paie aujourd’hui en arrérages 250 millions de moins qu’il y