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pas une raison parce que je vous ai préféré à Marco pour oublier qu’il est mon ami. Je l’aime, d’abord !

— Alice !

Elle s’échauffait :

— Et je vous affirme que je serai toujours la même pour lui.

André voulut se fâcher ; il cria :

— Je ne le permettrai pas !

Alors elle le regarda en se penchant vers lui avec un éclat de rire dans lequel Mme Rattier se fût admirablement reconnue. Mais elle n’eut pas cette satisfaction ; à cette heure même, elle contemplait avec un étrange serrement de cœur la chambre qu’Alice venait de quitter.

On est toujours mère par quelque côté. Si peu que l’on tienne à l’enfant de ses entrailles, cela laisse un vide quand il s’en va. Ensuite, elle faisait perte sur perte, aujourd’hui : Marine aussi était à jamais perdue. Sa vengeance assouvie, elle se fût volontiers réconciliée : on ne rencontre pas tous les jours une amie dévouée comme Marine. Le regret qu’elle éprouvait de sa mort était quelque peu cuisant : elle soupçonnait vaguement cette fin si prompte d’être le résultat d’une trop vive douleur, et tout bas elle murmurait :

— Si j’avais su !

Puis elle se sentit bien seule, bien abandonnée. Mille choses indéfinies semblaient s’être détachées d’elle dans cette journée. Pâle, le front lassé, ayant au cœur l’amer dépit de sa jeunesse envolée et la vague épouvante d’un avenir sans joie. Mme Rattier soupira tristement :

— Comme tout finit !

M. Rattier, lui, se disait dans le même temps :

— Tout cela, sans doute, est fort désagréable. Mais bah ! dans six mois il n’y paraîtra plus, et je ferai souche de petits nobles.

En se frottant les mains, il rentra dans la salle, où l’on ne dansait plus que languissamment, et s’écria :

— Mesdames, on soupe !

Il était minuit.

Presque personne ne dormit cette nuit-là : Séraphin lui-même ne rentra pas.

Les portes de l’église où reposait Marine étant refermées, il s’assit tout contre, sur la dernière marche, et attendit le jour.


George de Peyrebrune.

(La troisième partie au prochain n°.)