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Tudor, que dans ce premier moment d’allégresse on avait fait d’elle un grand nombre de portraits : ne les trouvant pas à son gré, elle intima l’ordre de les détruire. Dans la proclamation qui fut répandue dans tout le royaume, il était dit : « qu’aucun portrait n’ayant réussi jusqu’à ce jour à reproduire la physionomie et les grâces de la reine. Sa Majesté avait daigné consentir à ce que Le peintre le plus habile qu’on pourrait trouver fût désigné pour faire d’elle un portrait, qui seul serait reproduit. » En dépit de sa proclamation, ses traits étaient assez fortement accusés pour qu’il fût facile d’en saisir la ressemblance. Son front était élevé et large, ses yeux noirs, vifs et perçans, son nez aquilin et dans le milieu légèrement arqué, ses cheveux de ce blond ardent qui tire sur le roux, ses lèvres minces et impérieuses, son menton court et fin, sa peau blanche comme celle de toutes les rousses. De grandeur ordinaire, elle se rehaussait par les talons élevés de ses chaussures ; sa taille était mince, mais raide et sans souplesse, son pied petit ; — elle tenait à ce qu’on l’admirât, et pour le faire valoir, dans beaucoup de ses portraits, elle le voulait chaussé d’une étroite. mule de velours bleu, recouvert d’un semis de perles. Elle avait de très belles mains ; lorsqu’elle se faisait peindre, elle exigeait qu’on les plaçât d’une manière apparente, et sans bagues aux doigts pour ne pas en altérer la finesse et le modelé ; jusqu’à la fin de sa vie, elle en fut fière. Son port était noble et dans l’ensemble On ne lui pouvait refuser un certain air de grandeur, mais il lui manqua la grâce, le charme, cette irrésistible séduction qu’elle a toujours enviée à Marie Stuart.

De nature parcimonieuse et acceptant des deux crains les riches présens que lui offraient ses sujets, elle devenait prodigue quand il s’agissait de se parer ; à sa mort, on trouva dans ses coffres plus de trois mille robes. Elle s’habillait tantôt en Junon, le plus souvent en Diane, quelquefois à l’italienne ou à la française. Elle demanda un jour à Melvil, l’ambassadeur de Marie Stuart, dans quelle toilette elle était le plus à son avantage ; il répondit que c’était à l’italienne, la coiffure alors faisant ressortir la beauté de ses cheveux. À demi satisfaite, elle insista pour savoir qui d’elle ou de Marie Stuart avait les plus beaux ; il répondit en courtisan habile qu’il n’y avait pas en Angleterre de femme qui lui fût comparable, mais qu’en Écosse Marie Stuart passait pour la plus belle.

C’était bien la digne fille d’Henri VIII ; elle tenait de lui sa violence et ses emportemens. « J’ai des colères de lionne, disait-elle d’elle-même ; elle souffleta un jour sir Henri Killegrew, qui revenait sans Hatton, qu’il avait ordre de lui ramener ; elle souffleta aussi miss Bridges, qu’Essex regardait de trop près ; elle brisa le doigt de miss Kidmure, l’une de ses filles d’honneur.