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d’examiner si les termes sont tout à fait proportionnés à l’importance vraie de la question. Je crains que M. Griveau ne déplace peut-être le fond du débat en faisant ainsi passer la querelle du gallicanisme au premier plan. Mais l’indication est juste, et si l’on affaiblit un peu la force des mots, la thèse est vraie. Dans un livre sur Mme Guyon est-il permis de n’en pas tenir plus de compte ? et si M. Guerrier l’avait reprise, croit-il que par hasard les chapitres qu’il consacre à la Grande Controverse n’en eussent pas été plus pleins, plus substantiels, plus nouveaux ? Mais c’est encore une mode aujourd’hui, mode fâcheuse, et contre laquelle on ne saurait trop s’élever. La prétention est d’écrire d’après « les écrits originaux » et « les documens inédits » sans autrement se soucier des travaux accumulés, — entre le dernier « original » que l’on consulte, et le premier « inédit » que l’on retrouve, — par deux ou trois générations de travailleurs patiens. C’est un merveilleux moyen, à la vérité, pour renouveler les sujets, en y introduisant des erreurs que l’on eût évitées en consultant ses devanciers. M. Guerrier se rend-il bien compte, par exemple, que le récit de M. de Bausset lui-même n’est déjà pas si méprisable ?

Élevons cependant la question plus haut encore et tâchons de la rendre encore plus digne du génie de Bossuet. Ce fut un ministre protestant qui, le premier, rassembla les Œuvres, en quarante volumes de Mme Guyon. La doctrine, chassée de France, condamnée à Rome, se répandit en Suisse, en Hollande, en Allemagne, en Angleterre. La Vie de la prophétesse fut publiée à Londres, à Berlin, à New-York. Et M. Guerrier nous apprend « qu’en ce moment même les écrits de cette femme célèbre servent d’aliment à la piété des méthodistes d’Amérique. » Qu’est-ce à dire ? et qu’y a-t-il de commun entre Mme Guyon et John Wesley ? je devrais dire, pour être plus exact, entre les dissidens du méthodisme et la prophétesse en quiétisme ? Un trait, si je ne me trompe, mais un trait caractéristique, à savoir la conviction profonde que c’est aux simples que Dieu parle et se communique. « Si l’on entrait résolument dans les voies intérieures, les bergers, en gardant leurs troupeaux, auraient l’esprit des anciens anachorètes ; les laboureurs, en conduisant le soc de leur charrue, s’entretiendraient heureusement avec Dieu, et les manœuvres, qui se consument de travail, en recueilleraient des fruits éternels. » La phrase n’est pas de quelque sectaire américain, elle est de Mme Guyon. De là le mépris, doux, mais invincible, de toute discipline et de toute hiérarchie. Notez les réflexions de la visionnaire sur ses entretiens avec Bossuet : « Il n’y a qu’à ouvrir toutes les histoires pour voir que Dieu s’est servi de laïques et de femmes sans science pour instruire, édifier et faire arriver les âmes à une haute perfection. Il a choisi les choses faibles pour confondre les fortes. » Ou encore : « Toutes les difficultés qu’il (Bossuet) me faisait ne venaient, comme je crois, que du peu de connaissance qu’il avait des auteurs mystiques… et du peu