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traite assez démocratiquement. Il a chemin faisant toute sorte d’incorrections bizarres et de locutions équivoques qui ne peuvent pas passer absolument pour des fleurs de l’éloquence nouvelle. Chose curieuse cet orateur, qui a certainement son originalité et sa puissance, qui sait capter ou dominer un auditoire, est, par le fait, laborieux, obscur et confus, si bien qu’on finit quelquefois par se demander ce qu’il a voulu dire. Et qu’on ne s’y trompe pas, cette obscurité même a peut-être sa signification. Si le langage est confus, c’est que la pensée est loin d’être nette et précise. Si M. Gambetta, comme orateur, manque de simplicité et de clarté ; s’il se sauve par la déclamation, c’est que la politique, chez lui, a de la peine à se dégager avec des idées arrêtées et coordonnées.

C’est là le secret. La parole déguise à peine le vide, l’incohérence où les contradictions de la pensée. M. Gambetta n’est jusqu’ici à tout prendre qu’un à-peu-près de politique comme il est un à-peu-près d’orateur. Oh ! assurément il a des velléités, des instincts, des ambitions ; il a le goût des affaires, la promptitude de la conception, une singulière facilité d’assimilation ; il a surtout la bonne volonté de se façonner aux grands rôles qui le tentent, pour lesquels il se croit fait. Malheureusement dans cette riche organisation il y a, en quelque sorte, des élémens qui ne se lient pas, d’étranges dissonances, des défauts d’éducation qui résistent à tout, que l’expérience de la vie n’a pas corriges. On sent à tout instant dans cette nature des ardeurs qui n’ont pas mûri, des qualités que la réflexion et le travail n’ont pas fécondées. La faiblesse de M. Gambetta est de n’avoir pu encore dépouiller le vieil homme, de rester un homme de parti, même un homme de secte avec plus de passions que d’idées, et plus de roueries que de vues sérieusement politiques. Chez lui tout se mêle, tout se contredit d’un jour à l’autre. Les mouvemens heureux qu’il peut avoir sont assez fréquemment suivis d’excentricités qui détruisent aussitôt la confiance prête à naître, qui font qu’avec lui on n’est jamais sûr de rien. Que se propose-t-il réellement ? Quelle est la substance de ses programmes ? En quoi se résume la politique qu’il prétend suivre, qu’il cherche encore aujourd’hui à faire prévaloir dans les élections ? Ce n’est vraiment pas toujours facile à saisir, c’est là qu’est l’énigme. M. Gambetta a certes un vif et patriotique sentiment de la puissance du pays ; il suit avec attention les progrès de la reconstitution de nos forces. Il s’occupe des affaires militaires, et au besoin il réunit les généraux, il entretient avec eux des rapports familiers. C’est d’ailleurs chez lui un goût de vieille date. Fort bien ! on n’est un homme d’état que si on a toujours l’œil sur l’état militaire du pays ; mais en même temps, par son influence, M. le président de la dernière chambre des députés favorise tout ce qui peut altérer l’esprit de l’armée, tout ce qui peut dénaturer et